Depuis le déclenchement de la guerre sur l’Ukraine, la notion de sud global est devenue surmédiatisée. La Russie, dans sa quête de se prémunir de la levée de boucliers de l’ «Occident global »a appelé de ses vœux à la matérialisation, sinon de fait, du moins sur le plan conceptuel de la notion de « Sud global ». Faute de blocs réels, ou d’idéologies distinctes, ce Sud, serait, dans la confrontation supposée entre le bloc occidental et le reste du monde, un mur dressé face à l’ « hégémonie » et face à l’ « impérialisme » de naguère. Lire plus
Le Sud
global est un ensemble géopolitique qui recouvre l’ensemble des États qui ne
relèvent pas de l’ancien bloc occidental formé pendant la guerre froide, ni de
l’Union européenne. Les contours suivent grossièrement ceux des « Suds »
identifiés par Willy Brandt en 1980, auxquels s’ajoutent les États affaiblis
par l’écroulement du et bloc de l’Est et la transition brutale vers l’économie
de marché. Au cas par cas, certains États dits du « Sud » s’affichent comme
n’appartenant pas au Sud global, par exemple la Turquie (Capdepuy, 2023), qui
se considère avant tout comme membre de l’Alliance atlantique. Au sein du « Sud
global » se détache particulièrement un quatuor de puissances émergentes ou
émergées, les BRICS, qui se afont
volontiers les porte-étendards de l’ensemble, non sans veiller au passage à la
préservation de leurs intérêts stratégiques.
L’expression
elle-même « Sud global », de l’anglais Global South, dont Vincent Capdepuy a
retracé la genèse (ibid.), n’est employée que de façon peu significative avant
la fin de la guerre froide. Elle devient alors de plus en plus fréquente sous
la plume des spécialistes des auteurs, et apparaît pour la première fois dans
un titre d’ouvrage en 1999, dans un livre consacré aux questions
environnementales (Peritore, 1999). Son usage est sorti des cercles
universitaires avec la guerre en Ukraine déclenchée en 2022 et le «
non-alignement » d’une partie des membres de l’ONU sur la résolution de prendre
des sanctions contre l’agresseur russe.
Loin d’être
un ensemble homogène, le Sud global est surtout l’expression d’une distance de
plus en plus grande entre les pays émergents et la superpuissance américaine et
ses alliés. Il ne s’agit pas tant de la rejeter en bloc que de puiser ailleurs
d’autres modèles complémentaires, dans une logique de multi-alignement (ibid.),
d’autant que beaucoup de puissances émergentes du Sud global peuvent difficilement
prétendre offrir un modèle tant qu’elles ne régleront pas la question des
droits humains, de la corruption et de la démocratie.
Le « Sud
global » est finalement l’expression d’un fonctionnement toujours plus
multipolaire de l’ordre mondial dans lequel les États-Unis ne sont plus qu’un
modèle parmi d’autres, et où chaque État peut nouer des partenariats avec les
autres de façon multilatérale, en s’affranchissant des logiques d’alliance
traditionnelles.
Chronologiquement,
on constate que la notion de Global South a connu un usage croissant depuis une
trentaine d’années environ, soit depuis la fin de la Guerre froide. Avant 1990,
les occurrences sont rares et non significatives [1], et la fondation en 1992
d’un Center for Global South à l’American University School of International
Service apparaît révélatrice d’un emploi nouveau, sans qu’on puisse pour autant
identifier une production intellectuelle majeure émanant de ce centre. À la fin
de la décennie, en 1999, le livre de N. Patrick Peritore, Third World
Environmentalism : Case Studies from the Global South, est un des premiers,
sinon le premier, à inclure l’expression dans son titre.