L'économie informelle occupe une place centrale dans l'économie marocaine, comme dans l'ensemble de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA).Un rapport récent de la Banque mondiale souligne qu'en dépit de certaines avancées, la croissance du PIB par habitant dans la région reste, depuis 2000, inférieure à celle observée dans d'autres économies comparables. Cette contre-performance est en grande partie attribuée à la faiblesse structurelle du secteur privé, lequel peine à jouer pleinement son rôle moteur de la croissance et de l'emploi.
En ce qui concerne spécifiquement le Maroc, le rapport met en avant la richesse des données disponibles, permettant une analyse détaillée des dynamiques de productivité. Il apparaît que, bien que certaines entreprises marocaines affichent des niveaux de productivité élevés, elles ne parviennent pas à étendre leur part de marché de manière significative. Toutefois, une meilleure utilisation des facteurs de production a contribué positivement à l'amélioration de la productivité du travail, offrant ainsi une note d'espoir quant aux capacités de transformation de l'économie marocaine.
Parmi les principaux freins identifiés à l'amélioration de la productivité dans la région, deux ressortent avec acuité : la persistance d'une forte fragmentation entre les secteurs formel et informel d'une part, et l'exclusion massive des femmes du marché du travail d'autre part. Le secteur informel, dans la région MENA, représente entre 10 % et 30 % de la production totale et absorbe entre 40 % et 80 % des emplois, des proportions qui traduisent son poids écrasant et son rôle incontournable, mais aussi son caractère problématique.
Au Maroc, l'ampleur de l'informalité est encore plus marquée. Selon les données relayées dans le rapport, près de 83 % des entreprises marocaines opèrent dans le secteur informel, un chiffre nettement supérieur à celui observé dans des pays voisins comme le Liban (40 %) ou la Jordanie (50 %). Ce taux élevé illustre à quel point l'informalité est enracinée dans le tissu économique marocain, affectant aussi bien les petites unités commerciales que des pans entiers du secteur des services et de l’artisanat.
Cette situation soulève plusieurs interrogations sur les raisons profondes qui poussent les entreprises à opter pour l'informel. Parmi les facteurs explicatifs figurent la lourdeur administrative, les coûts élevés de la formalisation, la rigidité des réglementations fiscales et sociales, mais aussi une certaine méfiance vis-à-vis des institutions publiques. À cela s’ajoute le fait que l'informalité, dans un contexte de forte précarité économique, constitue souvent un moyen de survie, particulièrement pour les jeunes et les femmes peu qualifiés, qui trouvent difficilement leur place dans l'économie formelle.
Cependant, la domination de l'informel n'est pas sans conséquences négatives. Elle freine l'innovation, limite l'accès au financement bancaire, réduit la productivité globale, et prive l'État de ressources fiscales importantes. Elle accentue également les inégalités en termes d'accès à la protection sociale, à l’éducation de qualité et aux opportunités économiques.
Face à ce constat, des efforts ont été entrepris pour favoriser une transition vers la formalité. Le Maroc a lancé plusieurs initiatives telles que la simplification du statut d’auto-entrepreneur, l’extension de la couverture sociale aux travailleurs indépendants, et des programmes de microfinance adaptés. Toutefois, ces réformes peinent encore à inverser la tendance tant que les incitations à sortir de l’informalité ne deviennent pas plus fortes et les contraintes institutionnelles plus légères.
La prépondérance de l'économie informelle au Maroc apparaît comme un défi majeur, structurel et multidimensionnel. Réduire cette dépendance suppose non seulement des réformes économiques ambitieuses, mais aussi un changement profond dans la relation entre l'État, les entreprises et les citoyens, reposant sur la confiance, la simplification et l'inclusion.
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