
Driss Benhima, a, dans une déclaration à La Revue de l’Investisseur, édition du 17 mai 2025, dressé un constat alarmant de la situation économique et sociale du pays.
Dans un pays en quête d’émergence, les mots ont parfois la force des électrochocs. Ceux rapportés par La Revue de l’Investisseur en sont l’illustration cinglante : « L’éducation a ruiné le pays. » Cette déclaration, d’autant plus percutante qu’elle émane d’un ancien haut responsable, résume avec lucidité ce que nombre d’acteurs économiques et institutionnels murmurent depuis longtemps : le Maroc souffre, non d’un manque de ressources, mais d’un déficit profond en capital humain et en clarté stratégique.
Loin d’être un simple trait d’humeur, ce constat met en lumière une crise systémique où l’éducation, au lieu d’être un levier de développement, est devenue un facteur de blocage. Le pays produit chaque année des milliers de diplômés, souvent titulaires de masters, mais dont beaucoup sont incapables de rédiger un simple rapport, de structurer une idée ou de porter un projet. Ce décalage abyssal entre le niveau de formation académique et les exigences du monde économique nourrit un sentiment d’impuissance généralisée, et confine les espoirs de modernisation à des initiatives ponctuelles, rarement suivies d’effets durables.
Ce n’est pas le financement qui fait défaut. Le capital existe, les fonds sont mobilisables, les lignes de crédit ouvertes. Ce qui manque, c’est la confiance. Une formule particulièrement révélatrice le résume avec amertume : « Les fonds publics n’investissent pas, car ils ne savent pas avec qui investir. » Cette phrase dit tout du fossé qui s’est creusé entre l’État et les porteurs de projets, entre les institutions et les entrepreneurs, entre les décideurs et les exécutants. Le pays ne souffre donc pas d’une pénurie de moyens, mais d’un vide de partenaires crédibles, capables de concevoir des projets structurés, viables, susceptibles de convaincre les banques comme les décideurs publics. Le blocage est avant tout cognitif, avant d’être économique. Il tient à une pénurie de compétences en ingénierie, en gestion de projets, en leadership stratégique.
Dans les faits, les grands chantiers industriels, les appels d’offres internationaux, les projets de co-développement restent largement dominés par des expertises étrangères ou des élites issues de la diaspora. Ce sont encore et toujours les enfants de l’extérieur qui sauvent les apparences, que ce soit dans nos équipes nationales ou à la tête de nos entreprises les plus compétitives. Le Maroc intérieur, lui, continue de produire du désœuvrement, de l’attentisme, et une génération désillusionnée, mal formée, mal accompagnée, et trop souvent orientée vers des filières sans débouchés.
À cela s’ajoute un frein dont l’analyse de La Revue de l’Investisseur ne parle pas explicitement, mais que nous ajoutons et qui mérite d’être souligné : le poids du secteur informel. Présenté ici comme une contribution supplémentaire à la compréhension des blocages structurels, ce phénomène illustre un double déséquilibre. D’une part, il résulte d’une économie incapable d’absorber la main-d’œuvre disponible dans des circuits formels, faute d’opportunités claires, d’encadrement adéquat ou de politiques d’inclusion cohérentes. D’autre part, il traduit une forme de défiance ou de contournement organisé du système étatique. Dans certaines zones urbaines comme dans les campagnes, une part significative de l’activité économique se déroule en marge du droit, échappant à la fiscalité, à la régulation, et souvent même à toute traçabilité. Le commerce informel, les services non déclarés, l’artisanat hors cadre, tout cela nourrit une économie parallèle qui, bien qu’elle fasse vivre des millions de personnes, empêche toute planification à long terme, mine la compétitivité globale et accentue la fracture entre Maroc officiel et Maroc réel.
Ce n’est donc pas un simple réajustement budgétaire ou une réforme sectorielle qu’il faut envisager, mais une transformation de fond. Le véritable chantier prioritaire est celui de l’éducation. Tant que celle-ci ne sera pas réformée en profondeur, dans son contenu, ses méthodes, sa gouvernance et ses finalités, toute tentative de développement restera incomplète. La formation des élites, des ingénieurs, des cadres, mais aussi des techniciens et des artisans qualifiés, conditionne l’efficacité de l’investissement et la résilience de l’économie nationale. Il ne s’agit plus de former pour former, ni de diplômer pour diplômer, mais de bâtir un système capable de faire émerger des compétences réelles, ancrées dans les besoins du pays et ouvertes sur les défis du monde.
Ce que révèle enfin cette analyse, c’est que l’essor du Maroc ne dépend pas d’un miracle, mais d’un sursaut. Un sursaut de lucidité, de courage et de rigueur. Un sursaut qui ne pourra se produire que si l’on accepte, une fois pour toutes, de regarder en face nos défaillances éducatives, nos blocages institutionnels, et nos angles morts sociaux.
SUIVEZ-NOUS SUR ▼▼