À LA UNE

NAVIGATION

SUIVEZ-NOUS SUR Suivez-nous

DÉTENTE

19 juin 2025

ÉCONOMIE : Maroc : vers une émergence économique sobre et durable, sur les traces du modèle asiatique- Par J. Hafati

Kaleidoscope  J. Hafati  19/6/2025

 

À l’image de plusieurs pays d’Asie qui ont émergé en réduisant la place de l’agriculture dans leur économie au profit de l’industrie, des services et de l’innovation, le Royaume s’engage sur une voie similaire.  

Le dernier rapport du Haut-Commissariat au Plan (HCP) ouvre une perspective encourageante pour l’économie marocaine. Il met en évidence une tendance structurelle importante : le recul progressif du poids de l’agriculture dans le PIB au profit des secteurs industriels, touristiques, des services et des énergies renouvelables. Cette évolution marque un tournant vers une économie plus résiliente, moins tributaire des aléas climatiques, et surtout, plus sobre en ressources hydriques.

En 2024, la croissance économique du Maroc a atteint 3,8 %, portée principalement par les secteurs non agricoles (+4,5 %), alors que l’agriculture a connu une baisse de près de 4,8 %. Les secteurs industriel et des services s’imposent ainsi comme les nouveaux moteurs de la croissance. L’industrie automobile, en particulier, confirme son rôle stratégique, tout comme l’aéronautique, les services liés au tourisme et au transport, ainsi que les investissements dans les énergies renouvelables. Ces activités ne dépendent pas de la pluviométrie et permettent de générer de la valeur ajoutée sans pression excessive sur les ressources naturelles, notamment l’eau.

Le recul de la part de l’agriculture dans le PIB, aujourd’hui estimée à environ 14 %, témoigne de cette transformation progressive. Ce changement ne signifie pas une marginalisation de l’agriculture, mais plutôt une meilleure orientation de celle-ci vers la subsistance intérieure, la sécurité alimentaire, et la gestion raisonnée de l’eau. En effet, les exportations agricoles marocaines — souvent critiquées pour leur consommation d’eau — ne représentent qu’une part relativement modeste de l’"eau virtuelle" exportée. Entre 2012 et 2019, seuls 5,2 % de l’eau agricole utilisée ont été exportés sous forme de produits agroalimentaires. De plus, cette eau était, en moyenne, huit fois plus valorisée à l’export que celle contenue dans les produits importés.

Ce constat renforce l’idée que le Maroc n’est pas engagé dans une "vente" massive de son eau à travers l’agriculture d’exportation. Au contraire, on observe une transition vers une agriculture plus efficiente et sélective, appuyée par des politiques publiques favorisant l’irrigation localisée, la modernisation des exploitations, et l’orientation vers des cultures à forte valeur ajoutée et à plus faible empreinte hydrique.

Néanmoins, certains freins persistent. De nombreux grands exportateurs agricoles, notamment dans les filières des agrumes ou des légumes primeurs, continuent de mobiliser d’importants volumes d’eau, souvent dans des zones déjà affectées par le stress hydrique. Cette situation soulève une question de justice environnementale : est-il légitime que quelques groupes agricoles disposent de ressources en eau qui se raréfient, alors que de plus en plus de citoyens subissent des restrictions ? Ce débat, bien que rarement abordé de manière frontale par les autorités, commence à émerger dans l’espace public et dans les milieux académiques.

L’État marocain n’est pas resté inactif. Il met en œuvre divers programmes, comme Al Moutmir, qui accompagne les agriculteurs vers des pratiques plus durables. Des incitations fiscales et des aides sont également accordées pour l’installation de systèmes d’irrigation performants. Par ailleurs, des investissements massifs sont consacrés au dessalement de l’eau de mer, à la réutilisation des eaux usées traitées, et à la construction de nouveaux barrages pour sécuriser les ressources en eau.

Il faut néanmoins reconnaître que l’efficacité de ces mesures dépendra de leur application stricte et de la volonté politique de réguler équitablement l’accès à l’eau. La tarification de l’usage de l’eau, aujourd’hui encore peu incitative, devra être revue afin de responsabiliser tous les acteurs, sans exception. Car l’eau est un bien commun national, et sa gestion ne peut être laissée à la logique exclusive du marché ou de l’exportation.

En conclusion, la dynamique actuelle, telle que soulignée par le HCP, est porteuse d’espoir. Le Maroc semble engagé dans une réorientation économique salutaire, moins dépendante de l’agriculture intensive et plus ancrée dans les secteurs industriels, technologiques et touristiques. Cette transition offre un double avantage : améliorer la compétitivité de l’économie nationale tout en préservant l’une de ses ressources les plus précieuses — l’eau. Mais cette promesse ne sera tenue que si les réformes s’accompagnent d’une gouvernance rigoureuse, d’un contrôle renforcé sur les usages agricoles, et d’un engagement politique fort en faveur de l’équité hydrique et du développement durable.

Cette trajectoire de transformation économique que suit aujourd’hui le Maroc n’est pas sans précédent. Plusieurs pays asiatiques ont en effet connu un parcours similaire au cours des dernières décennies. Des économies comme celles de la Corée du Sud, de la Malaisie ou encore du Vietnam ont amorcé leur essor en réduisant progressivement la part de l’agriculture dans leur PIB, tout en investissant massivement dans l’industrie manufacturière, les services, la technologie et les infrastructures. Ce basculement leur a permis non seulement de créer des millions d’emplois dans des secteurs à forte valeur ajoutée, mais aussi d’améliorer leur sécurité alimentaire grâce à une agriculture modernisée et plus efficace. L’expérience asiatique démontre que la transition vers une économie plus diversifiée et moins dépendante des ressources naturelles, si elle est accompagnée de politiques publiques cohérentes, peut être un levier puissant de développement inclusif et durable. Le Maroc, en s’inspirant de ces modèles tout en tenant compte de ses spécificités, peut espérer tracer un chemin similaire vers l’émergence économique.



SUIVEZ-NOUS SUR ▼▼

Bluesky Facebook Mastodon

VISITEURS