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24 juillet 2025

ÉCONOMIE : Économie marocaine ; l’heure des choix dramatiques- Par J. Hafati

        ✍️Auteur : J. Hafati  🗓️ Date : 24/07/2025

Kaleidoscope 

En 2025, le Maroc fait face à une situation hydrique critique qui illustre directement la dangerosité de son modèle agricole fondé sur les exportations intensives.

Les chiffres sont sans appel : les ressources en eau par habitant ont chuté en dessous de 600 m³/an, bien en-deçà du seuil critique de 1 000 m³ fixé par l’Organisation des Nations unies. Dans certaines régions comme le Souss ou le Haouz, les nappes phréatiques s’épuisent à un rythme alarmant, pouvant atteindre jusqu’à trois mètres de baisse par an. Le taux de prélèvement des ressources hydriques – appelé "indice d’épuisement de l’eau" ou WEI+ (Water Exploitation Index Plus) – dépasse désormais 70 %, ce qui indique une surexploitation majeure.

Cette pression s’explique principalement par l’agriculture, qui consomme plus de 85 % de l’eau disponible au niveau national. Une large part de cette consommation est absorbée par des cultures d’exportation comme les avocats, les myrtilles, les tomates ou encore les pastèques. En 2024, le Maroc a exporté plus de 100 000 tonnes d’avocats, en forte hausse par rapport aux années précédentes. Les exportations de myrtilles ont atteint près de 67 300 tonnes, et les tomates marocaines continuent d’inonder le marché européen avec environ 500 000 tonnes expédiées sur une seule campagne. Ces performances sont souvent présentées comme des réussites économiques, car elles génèrent des devises, créent de l’emploi et valorisent le potentiel agricole du pays.

Cependant, cette dynamique soulève de plus en plus de critiques, à la fois d’un point de vue environnemental et socioéconomique. En effet, certaines cultures consomment des quantités d’eau colossales : il faut entre 2 000 et 3 000 litres d’eau pour produire un seul kilogramme d’avocats, près de 900 litres pour 1 kg de myrtilles, et environ 200 litres pour 1 kg de tomates de serre. Les défenseurs de ce modèle affirment que l’usage généralisé de techniques comme le goutte-à-goutte permettrait de limiter les pertes. Mais les études récentes dénoncent un "effet rebond" connu sous le nom de "paradoxe de Jevons" : l’efficacité accrue pousse à cultiver davantage de surfaces et à choisir des cultures plus gourmandes en eau, annulant les économies escomptées. Plus une ressource est utilisée efficacement, plus sa consommation augmente, et non l'inverse.

 

L’impact sur la société marocaine est lourd. D’un côté, la priorité donnée aux cultures de rente contribue à l’érosion de la souveraineté alimentaire : les produits de base deviennent plus chers sur le marché local car orientés vers l’export. De l’autre, les petits agriculteurs, souvent privés d’accès à l’eau, sont marginalisés au profit de grands groupes agro-industriels, parfois liés à des capitaux étrangers. Le tissu rural se fragilise, les inégalités se creusent et les tensions autour de l’accès à l’eau deviennent plus fréquentes. En parallèle, les bénéfices issus de ces exportations bénéficient surtout à une élite bien structurée ou à des multinationales installées dans les zones agricoles les plus rentables.

Sur le plan idéologique, ce modèle repose sur un paradigme libéral promu depuis les années 2000 par des institutions comme la Banque mondiale, l’Union européenne ou certains think tanks favorables à l’intégration du Maroc dans les chaînes globales de valeur. Il valorise la "modernisation agricole" par la technologie et l’exportation, sans prendre en compte les coûts sociaux, environnementaux ou les limites structurelles du pays, notamment en matière d’eau. Des stratégies comme les plans "Maroc Vert" (2008–2020) ou "Génération Green" (2020–2030) ont appuyé cette vision, tout en sous-estimant ses effets pervers.

Pour sortir de cette impasse, plusieurs solutions réalistes sont désormais proposées. Il devient urgent de réorienter l’effort agricole vers des cultures peu consommatrices d’eau, davantage destinées à la consommation locale : orge, légumineuses, figue de barbarie, olivier non intensif. Cela suppose également de repenser l’attribution des subventions et d’appuyer les circuits courts – notamment à travers des coopératives, des unités de transformation locales et un label garantissant une production durable et accessible. Une fiscalité hydrique équitable pourrait être mise en place, avec une tarification progressive de l’eau et des taxes sur les cultures les plus gourmandes, comme l’avocat ou la tomate hors saison.

Sur le plan technique, des projets comme l’autoroute de l’eau – qui transfère 850 millions de mètres cubes d’eau par an vers les régions les plus touchées – ou les nouvelles stations de dessalement (13 opérationnelles, 9 en projet) peuvent aider à court terme, mais ils ne résoudront pas l’essentiel si la logique du "tout-export" n’est pas remise en cause. La diversification économique, notamment par le tourisme rural, les industries locales ou les services numériques, pourrait offrir des alternatives viables sans peser sur les ressources naturelles.

Le Maroc est à la croisée des chemins. Continuer sur la voie actuelle, c’est risquer une crise écologique et sociale majeure dans les prochaines années. Une reconversion du modèle agricole basé sur la prédation et une réorientation du modèle économique dans un sens de modernité et d’émergence, s’impose comme un choix impératif.

 





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