L'ascenseur capricieux
Dans un vieil immeuble haussmannien du quartier de Belleville, l'ascenseur avait la réputation d'être aussi imprévisible qu'une girouette. Les locataires le surnommaient « Caprice », une appellation à la fois affectueuse et teintée d'agacement.
Chaque matin, à l'heure de pointe, Caprice décidait s'il daignait fonctionner ou non. Parfois, il s'immobilisait entre deux étages, obligeant ses passagers à patienter dans une ambiance qui oscillait entre nervosité et camaraderie forcée.
« Je vous parie qu'il va encore s'arrêter au troisième sans raison », grommelait Monsieur Dumas, le retraité du sixième, connu pour son penchant à prédire les caprices de l'appareil.
Ce matin-là, à 7 h 45 précises, Caprice se mit à trembler avant de lancer un bruit strident qui fit sursauter les occupants. Au rez-de-chaussée, Adèle, une étudiante en architecture, attendait avec son lourd sac de croquis. Elle appuya sur le bouton d'appel avec un soupir exaspéré. L'ascenseur clignota une fois, comme pour signaler sa mauvaise humeur, puis resta obstinément fermé.
« Encore lui…», murmura-t-elle en se résignant à prendre l'escalier. Mais en arrivant au deuxième étage, elle entendit un étrange bruit provenant de la cage de l'ascenseur : un mélange de métal grinçant et de murmures lointains. Intriguée, elle s'approcha de la porte coulissante.
« Besoin d'aide ? », s'éleva une voix grave, presque amusée.
Adèle sursauta. Il était impossible que quelqu'un soit dans la cabine : elle avait vérifié en bas. Pourtant, la voix était bien réelle. Elle appuya de nouveau sur le bouton, et cette fois, les portes s'ouvrirent lentement. La cabine était vide, mais l'éclairage vacillait, projetant des ombres mouvantes sur les parois.
« Entre, Adèle. »
L'étudiante resta figée. Comment cet ascenseur connaissait-il son nom ?
« C'est une blague ? », tenta-t-elle, sa voix trahissant son malaise. Aucun réponse ne vint, mais les portes commencèrent à se refermer lentement. Mue par une impulsion qu'elle ne comprenait pas elle-même, Adèle bondit à l'intérieur.
Dès qu'elle fut à bord, la cabine se mit à descendre… mais pas vers le sous-sol habituel. Le compteur électronique affichait des étages qui n'existaient pas : -1, -2, -3… Chaque chiffre était accompagné d'une sensation étrange, comme si l'air devenait plus lourd, plus épais.
« Qui est là ? », demanda Adèle, sa voix étranglée.
« Je suis Caprice, répondit la voix. Et je vais te montrer des choses que tu ignores encore de cet immeuble.
La cabine s'arrêta brusquement. Les portes s'ouvrirent sur un couloir plongé dans une lumière tamisée, orné de portraits anciens dont les yeux semblaient suivre chacun de ses mouvements. Des bruits lointains — rires, chuchotements, tintements de verres — émanaient des murs.
« Avance. »
Adèle hésita, mais une force invisible semblait la pousser. Elle longea le couloir jusqu'à une porte massive en bois sculpté. Lorsqu'elle la poussa, elle se retrouva dans une immense salle de bal, comme figée dans le temps. Des couples en tenue d'époque valsaient gracieusement, leurs visages flous, presque éthérés.
« Tu as été choisie pour redonner vie à ces souvenirs, Adèle. »
« Moi ? Pourquoi ? »
« Parce que tu regardes au-delà des apparences. L'histoire de cet immeuble repose entre tes mains. »
La jeune femme sentit une chaleur envahir son corps, comme si un lien invisible venait de se tisser entre elle et l'édifice tout entier. Quand elle cligna des yeux, elle était de retour dans la cabine. L'ascenseur monta lentement jusqu'au sixième, où il s'arrêta en douceur. En sortant, elle croisa Monsieur Dumas, qui lui adressa un regard curieux.
« Vous allez bien, mademoiselle ? Vous semblez… différente. »
Adèle esquissa un sourire mystérieux. « Tout va bien, Monsieur Dumas. Tout va très bien. »
Mais au fond d'elle, elle savait que Caprice lui avait offert bien plus qu'un simple trajet. L'immeuble lui avait confié un secret, et elle était prête à découvrir ce que cela signifiait vraiment.
