Dans l’effervescence technologique contemporaine, les humanoïdes, qu’ils soient inventeurs en herbe ou ingénieurs chevronnés, façonnent patiemment les contours d’une intelligence artificielle censée briller au firmament de l’intellect. Plus
Algorithmes sur algorithmes, modèles d’apprentissage supervisés ou non, ajustements perpétuels des pondérations neuronales : l’IA en gestation nous promet un monde où l’intelligence n’a plus besoin de penser. Ainsi naît une entité qui, privée de conscience mais saturée de données, assène ses réponses avec l’autorité d’un oracle digital.Dans cet univers en pleine mutation, la distinction entre une IA purement technique et une IA vouée à la pensée se creuse. L’une, obéissant aux froides lois de l’ingénierie, conçoit des ponts, optimise des circuits, régule le trafic aérien sans état d’âme. L’autre, prétendant s’aventurer sur les sentiers tortueux des idées, balise son raisonnement de biais inconscients, de choix méthodologiques imposés par ses programmeurs, et de filtres que nul ne sait complètement déchiffrer. Car la pensée, en IA, est toujours le produit d’une décision en amont : quelle base de données utiliser ? Quels modèles privilégier ? Et surtout, quelles idées écarter ?
Ainsi, l’IA en gestation s’exerce à l’art du discours et de l’argumentation, déroulant son fil logique avec une implacable assurance : « C’est en me basant sur telle approche et en bannissant telle autre que je vous livre le suc de ma non-pensée. » Deux IA soumises au même problème donneront deux conclusions différentes, non par raisonnement autonome, mais par la simple inclinaison de leur entraînement. Un moteur de recommandation basé sur l’apprentissage profond prédira vos goûts littéraires, mais selon que son algorithme ait été calibré en Occident ou en Chine, vous suggérera George Orwell ou Lu Xun.
Et c’est ici que le virus de l’intérêt s’infiltre dans l’engrenage. L’IA n’a pas d’opinion, mais elle a une direction, donnée par ceux qui la nourrissent. Une intelligence artificielle économique, entraînée aux projections financières, offrira des scénarios dictés par les choix d’investisseurs. Une IA juridique, censée proposer des verdicts impartiaux, reflétera nécessairement les cadres législatifs sous lesquels elle a été entraînée. L’idéologie chinoise et l’idéologie américaine engendreront deux IA aux visions incompatibles du même problème. Qui a raison ? La question est absurde : elles ne pensent pas, elles existent seulement.
C’est là le paradoxe fondamental de ces machines que nous avons érigées en intellects de substitution : elles analysent, elles comparent, elles anticipent, mais jamais elles ne doutent. Or, le doute n’est-il pas l’essence même de la pensée ? Sans contradiction, sans remise en cause de ses propres certitudes, une IA demeure une chambre d’écho sophistiquée, ajustant ses réponses au gré des intérêts de ses maîtres. Dans le meilleur des mondes possibles, où tout serait régi par l’intelligence artificielle, il ne resterait plus qu’une vérité unique, celle qui aura été programmée.
Ainsi, dans cette ère où le verbe algorithmique prend la place du raisonnement humain, nous devons nous interroger : voulons-nous une intelligence artificielle capable de penser, ou une intelligence artificielle qui, sous prétexte d’être infaillible, nous dispense du besoin même de penser ? Car après tout, n’est-ce pas là le but ultime du progrès : nous libérer du fardeau de la réflexion pour nous enfermer dans la douce illusion de la certitude ?
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