Le phénomène de la cryptomonnaie $TRUMP, lancé en janvier 2025 par Donald Trump, symbolise une convergence imprévisible entre politique, finance numérique et stratégie d’influence.
À quelques jours de son investiture, l’ancien président a propulsé sur la blockchain Solana un jeton à son effigie. En moins de 48 heures, le $TRUMP atteignait une capitalisation de 5 milliards de dollars, se hissant au 19e rang mondial des cryptomonnaies. Ce succès immédiat, fruit d’un engouement spéculatif nourri par la notoriété de Trump, a pourtant révélé de graves fragilités structurelles.Sur le milliard de jetons créés, seuls 200 millions ont été mis en circulation. Les 80 % restants sont détenus par deux entités contrôlées par Trump : CIC Digital LLC et Fight Fight Fight LLC. Cette concentration extrême a suscité de vives critiques dans l’écosystème crypto, car elle donne à l’émetteur un pouvoir démesuré de manipulation du marché. L’opacité entourant la libération potentielle de ces jetons a alimenté l’instabilité du prix et déclenché une méfiance généralisée. Les mécanismes du projet rappellent les pratiques dites de "pump and dump", où les initiateurs gonflent artificiellement le cours d’un actif pour en tirer profit avant de le laisser s’effondrer.
La spéculation s’est intensifiée lorsque Trump a proposé un dîner privé avec les principaux détenteurs de $TRUMP. Des investisseurs, espérant décrocher une place à cette table très exclusive, ont injecté des millions de dollars dans le jeton. Mais beaucoup ont revendu aussitôt leurs actifs une fois leur objectif atteint, précipitant une chute brutale du cours. Cet effondrement s’est accentué avec le lancement du jeton $MELANIA, émis par la première dame. En quelques minutes, $TRUMP perdait plus de la moitié de sa valeur, accentuant la défiance du marché.
La communauté crypto a largement condamné ce projet, considéré par beaucoup comme une opération de marketing politique déguisée. Contrairement à des projets fondés sur des innovations technologiques ou des cas d’usage concrets, $TRUMP ne repose sur aucune fonctionnalité réelle. Il s’apparente davantage à un actif-média, valorisé uniquement pour son image et la spéculation qui l'entoure. Selon le site spécialisé CryptoDamus, près de 100 millions de dollars auraient été captés en frais de transaction par les adresses initiales liées à Trump, tandis qu’environ 813 000 petits porteurs ont collectivement perdu plus de 2 milliards de dollars.
Malgré ces critiques, l’initiative s’inscrit dans une stratégie économique plus vaste, visant paradoxalement à renforcer – et non affaiblir – l’influence du dollar américain. Trump, autrefois hostile aux cryptomonnaies, semble avoir révisé sa position en intégrant leur potentiel stratégique dans une logique de souveraineté monétaire numérique. À travers des projets comme USD1, un stablecoin indexé sur le dollar et émis par World Liberty Financial, l’administration Trump ambitionne de concurrencer les monnaies numériques privées ou étrangères. Ce jeton, entièrement adossé à des réserves en dollars à parité 1:1, vise à renforcer l’usage du dollar dans les transactions numériques mondiales, en contournant les circuits bancaires traditionnels.
Ce changement d’orientation se reflète également dans le GENIUS Act, un projet de loi soutenu par Trump visant à encadrer les stablecoins tout en leur offrant un cadre réglementaire favorable. L’objectif est double : offrir une alternative solide face aux stablecoins dominants comme Tether ou USDC, tout en consolidant l’hégémonie du dollar dans l’économie numérique émergente. Loin de remettre en cause la puissance du billet vert, les initiatives crypto de Trump s’inscrivent dans une logique de renforcement de son influence, en adaptant les outils de la puissance américaine aux réalités du Web3.
Ainsi, le jeton $TRUMP, au-delà de ses dérives spéculatives, révèle une stratégie plus large de captation de l’attention, de mobilisation politique et d’expérimentation monétaire. Il illustre aussi une tension croissante au sein de l’écosystème crypto : celle qui oppose des projets décentralisés, communautaires et transparents à des initiatives centralisées, opaques et dominées par des figures médiatiques. Le cas $TRUMP confirme que la cryptomonnaie peut devenir un vecteur de pouvoir politique, mais qu’elle reste vulnérable lorsqu’elle est réduite à un simple instrument d’influence ou de profit personnel.
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