Le Maroc traverse
depuis plusieurs mois une série d’attaques informatiques d’une ampleur inédite
qui ont profondément perturbé le fonctionnement de plusieurs institutions
publiques majeures.
Parmi les cas les plus emblématiques figure celui de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), cible d’un piratage revendiqué en avril 2025 par le groupe hacktiviste Jabaroot DZ. Cette attaque a permis l’exfiltration de données personnelles très sensibles concernant plus de deux millions d’assurés et un demi-million d’entreprises, incluant numéros d'identité, RIB, salaires, et autres informations critiques. En réaction, la CNSS a suspendu l’accès à plusieurs fonctionnalités clés de son portail en ligne. Malgré des déclarations de reprise progressive, de nombreux usagers continuent de constater que les services restent partiellement ou totalement inaccessibles, accentuant leur sentiment d’abandon numérique.
La situation n’est guère différente à la CNOPS, autre organisme stratégique de protection sociale, dont les services en ligne ont été suspendus depuis le 27 mai 2025. Officiellement, il s’agissait d’une opération de maintenance visant à sécuriser l’environnement informatique et à accompagner le déploiement d’un nouveau système d'information. Dans les faits, les assurés ont été brutalement privés d’accès à leurs données de remboursement, de prise en charge ou de suivi médical, et ce sans que la moindre date de réouverture ne leur soit communiquée. Le discours institutionnel reste flou, invoquant des "travaux techniques" sans donner la moindre visibilité sur l’avancement du processus, tandis que les citoyens se retrouvent livrés à eux-mêmes, obligés de recourir aux guichets physiques ou au courrier postal dans une époque pourtant dominée par le numérique.
Un phénomène comparable s’observe à l’Agence nationale de la conservation foncière (ANCFCC), où une présumée fuite de millions de documents — titres de propriété, actes notariés, données personnelles — a poussé l’agence à suspendre sine die l’accès à son portail notarial. Là encore, aucune communication claire n’a permis de rassurer les professionnels du secteur ou les citoyens concernés par des transactions immobilières en cours. Le Ministère de la Justice, lui aussi visé par des piratages, notamment une fuite massive présumée d’informations personnelles concernant magistrats et fonctionnaires, n’a fourni aucune information publique sur l’ampleur des dégâts ni sur le calendrier de remise en service de ses plateformes.
Ces blocages successifs ont fait naître une atmosphère de méfiance généralisée entre les administrations et leurs propres outils numériques. De peur de voir leurs systèmes de nouveau compromis, de nombreuses institutions choisissent la prudence extrême, allant jusqu’à figer durablement leurs portails. Ce réflexe de fermeture, s’il se comprend à court terme, se traduit par un dysfonctionnement majeur du service public, où l’usager se retrouve littéralement aveugle, incapable d’accéder à des données pourtant vitales. Ce repli numérique, qui touche même des institutions à première vue moins exposées comme la CNDP (Commission nationale de protection des données personnelles), révèle une crainte structurelle face à la cybersécurité et une incapacité à articuler efficacement gestion de crise et continuité du service.
Les conséquences sont lourdes. Le citoyen perd confiance, se sent abandonné, et certains finissent par chercher des solutions de contournement, voire tomber dans des pièges de phishing ou d'arnaques téléphoniques. Des témoignages circulent sur des forums et réseaux sociaux, exprimant une détresse face au mutisme administratif et à l’incertitude permanente.
Cette frilosité numérique ne pourra être dépassée que par un triple effort : sécuriser sérieusement les infrastructures, planifier clairement les phases de réactivation et surtout communiquer de manière transparente avec les usagers. Sans cela, la promesse d’une administration numérique moderne ne sera qu’un mirage, et les avancées réalisées jusqu’ici risquent de s’effondrer sous le poids d’une méfiance généralisée.
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