Depuis une décennie,
l’économie marocaine a connu des transformations structurelles profondes qui nourrissent
un débat légitime:le Maroc peut-il aujourd’hui être considéré comme un pays
émergent, ou est-il encore à la croisée des chemins ?
Sur la période 2013-2023, le Maroc a affiché une croissance moyenne oscillant entre 2,5 % et 4,5 % selon les années, avec des pics proches de 5 % lors des années favorables à l’agriculture (notamment en 2015 et 2017) et des ralentissements marqués en 2020 en raison de la pandémie (-6,3 % du PIB). Le rebond post-Covid a été rapide (+7,9 % en 2021), mais les sécheresses récurrentes et les tensions géopolitiques (Ukraine, Israël-Palestine, inflation importée) ont montré les limites de cette dynamique, fortement tributaire du climat et des marchés extérieurs.
Traditionnellement moteur de l’économie (jusqu’à 18 % du PIB et plus de 30 % de l’emploi), l’agriculture voit sa part se réduire progressivement (13,5 % du PIB en 2023 selon le HCP). L’objectif n’est plus tant l’export à tout prix que l’autosuffisance alimentaire (céréales, légumineuses, lait) et la rationalisation hydrique, notamment via le Plan Génération Green et la construction de stations de dessalement (Agadir, Laâyoune) et de barrages collinaires.
En parallèle, les industries de transformation (automobile, aéronautique, électronique, agroalimentaire) montent en puissance. En 2023, le secteur automobile représente la première source d’exportation marocaine (plus de 111 milliards de dirhams), devant le phosphate et l’agriculture. L’implantation de géants comme Renault, Stellantis, Boeing ou Thales dans les zones franches de Tanger Med et Nouaceur illustre l’attractivité industrielle croissante du royaume.
Le Maroc se positionne aujourd’hui comme leader africain des énergies renouvelables, avec plus de 4 GW installés et l’objectif de 52 % d’électricité verte à l’horizon 2030. Des projets phares comme Noor Ouarzazate (plus grand complexe solaire en Afrique) ou le méga-projet de câble électrique Maroc-Royaume-Uni via Xlinks montrent une ambition stratégique claire : faire de l’énergie un facteur d’indépendance et de coopération régionale.
Après la crise du Covid, le secteur touristique marocain a connu un rebond spectaculaire, atteignant 14,5 millions de visiteurs en 2023 (près de 2 milliards d’euros de recettes mensuelles en août 2023). Marrakech, Agadir, Fès et les provinces sahariennes (Dakhla, Laâyoune) gagnent en visibilité, notamment dans l’optique de la Coupe du Monde 2030 que le Maroc coorganisera.
Les services représentent désormais plus de 55 % du PIB, portés par l’essor des télécoms, de la finance, du commerce et surtout des services externalisés (offshoring), avec plus de 130 000 emplois directs dans les centres de services délocalisés. Casablanca et Rabat se positionnent comme hubs digitaux africains, avec l’émergence de start-ups dans la fintech, l’e-gov et la cybersécurité
Les investissements directs étrangers (IDE) constituent un indicateur clé du statut émergent. Le Maroc a su attirer des flux soutenus d’IDE, atteignant près de 39,6 milliards de dirhams en 2022 (environ 3,2 % du PIB), selon l’Office des changes. Les principaux secteurs concernés sont l’industrie automobile, les énergies renouvelables, l’immobilier touristique et les services financiers. La stabilité politique, les incitations fiscales dans les zones franches (comme Tanger Med), ainsi que les accords de libre-échange avec l’UE, les États-Unis et plusieurs pays africains, renforcent cette dynamique. La tendance se confirme avec des projets structurants comme le gazoduc Maroc-Nigéria et les mégaprojets énergétiques du Sud, consolidant l’image du pays comme hub régional d’investissement.
Autre évolution notable : l’émergence des provinces atlantiques du Sud comme plateforme de co-développement Afrique-Europe-Amérique latine. Avec des investissements massifs dans les ports (extension de Dakhla Atlantique, zone industrielle intégrée), les énergies marines et l’aquaculture, cette région devient un point d’ancrage stratégique pour la diplomatie économique marocaine. Le programme de développement spécifique au Sahara (2015–2030) mobilise plus de 77 milliards de dirhams, avec un accent mis sur les infrastructures, la santé et la formation professionnelle.
Voici une grille d’analyse classique des caractéristiques d’une économie émergente, et l’évaluation du Maroc :
Critère |
Maroc en 2024 |
Croissance économique soutenue |
Moyenne mais résiliente (3–4 %) |
Diversification sectorielle |
En progrès : industrie, services, énergie verte |
Infrastructure en développement |
Ports (Tanger Med, Dakhla), LGV, routes, zones industrielles |
Développement humain |
Avancé mais inégal (IDH ~0,727, rang ~120e) |
Ouverture économique |
Forte (ALE avec UE, USA, Afrique) |
Stabilité politique |
Stable comparé à la région, réformes constantes |
Inclusion sociale |
Encore perfectible : chômage des jeunes, disparités régionales |
En croisant ces éléments, le Maroc se rapproche du profil d’un pays émergent, mais doit encore relever plusieurs défis : renforcer l’éducation et la formation technique, réduire les inégalités sociales et régionales, améliorer la gouvernance économique, et surtout accélérer sa transition numérique.
Le Maroc ne peut plus être rangé parmi les pays en développement classiques. Par ses investissements dans l’industrie, l’énergie, les services, son positionnement stratégique au carrefour de trois continents, sa résilience structurelle et sa capacité à attirer des IDE de qualité, il incarne le profil d’un pays en voie d’émergence affirmée. Toutefois, l’émergence ne se décrète pas : elle se construit dans la durée, en consolidant les acquis, en garantissant l’inclusion sociale, et en anticipant les mutations technologiques et climatiques à venir. Le Maroc est sur cette voie — à condition de ne pas confondre vitesse et précipitation.
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