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11 juillet 2025

INTERNATIONAL : Afrique, enjeu des grandes puissances- Par G. Amidot

        ✍️Auteur : G. Amidot   🗓️ Date :11/07/2025

Kaleidoscope 

Depuis plus d’une décennie, la Russie avance ses pions en Afrique, dans un silence stratégique savamment entretenu, à travers des moyens militaires non conventionnels.

Le principal levier de cette expansion est le groupe Wagner, devenu récemment Africa Corps après sa reprise en main par le Kremlin. Cette force paramilitaire n’est pas seulement un prestataire de sécurité : elle constitue désormais l’un des instruments majeurs de la projection d’influence russe sur le continent africain. Présente dans plusieurs pays en crise, notamment en République Centrafricaine, au Soudan, en Libye, au Mali, au Burkina Faso et plus récemment au Niger, Africa Corps s’impose comme un acteur militaire, politique et économique incontournable.

La mutation de Wagner en Africa Corps, intervenue après l'assassinat d’Evgueni Prigojine en 2023, marque un tournant. Le Kremlin a récupéré le contrôle de cette force, en l’intégrant plus officiellement à l'appareil militaire russe, sans pour autant modifier ses méthodes de terrain: déploiements rapides, alliances avec des régimes militaires, troc de sécurité contre accès aux ressources, et emploi de la force dans des zones grises du droit international. Depuis, Africa Corps s’est affirmé comme un bras armé au service des intérêts russes, particulièrement dans les régions sahéliennes, où le désengagement occidental, notamment français, a laissé un vide que Moscou s’emploie à remplir.

Il convient de préciser que le Groupe Wagner n’a pas totalement disparu. Bien que fortement affaibli depuis la mort de son chef Prigojine et la reprise en main du Kremlin, Wagner conserve une existence résiduelle, notamment à travers certains réseaux économiques et de sécurité en Afrique centrale. Toutefois, c’est désormais l’Africa Corps, entité officiellement rattachée au ministère russe de la Défense, qui prend progressivement le relais. Créé comme une structure militaire formelle, l’Africa Corps est chargé de centraliser et coordonner les opérations russes sur le continent, en particulier dans les zones de conflit comme le Sahel, où il remplace peu à peu les unités encore actives de Wagner tout en bénéficiant d’un statut étatique et de moyens accrus.

La présence croissante d’Africa Corps au Sahel coïncide avec une recomposition profonde du paysage régional. Le retrait des forces françaises, les coups d’État successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger, ainsi que la progression des groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique ont précipité la région dans un chaos sécuritaire. Les nouvelles juntes militaires, marginalisées par les chancelleries occidentales, se tournent vers Moscou pour obtenir un soutien militaire sans conditions politiques. En retour, la Russie obtient des concessions minières, des contrats d’extraction et un accès privilégié à des ressources stratégiques comme l’or, le lithium, le manganèse ou l’uranium.

La stratégie russe en Afrique s’appuie également sur des alliances historiques, notamment avec l’Algérie. Alger reste un partenaire militaire privilégié de Moscou, mais aborde avec prudence la montée en puissance d’Africa Corps. Si des coopérations techniques et logistiques existent, l’Algérie refuse officiellement toute présence directe de mercenaires russes sur son territoire. Elle redoute les effets déstabilisateurs d’une présence militaire étrangère dans le sud saharien, mais voit aussi dans cette reconfiguration régionale un moyen de consolider son rôle de puissance pivot. L’Algérie partage avec la Russie un objectif commun : contenir l’influence américaine, tout en marginalisant les velléités d’ingérence des puissances européennes.

Derrière l’argument sécuritaire, c’est bien la ruée vers les ressources qui motive cette militarisation croissante du continent. L’Afrique détient une part essentielle des réserves mondiales en métaux rares et stratégiques, devenus indispensables aux industries technologiques, à la transition énergétique, et aux capacités militaires du XXIe siècle. En sécurisant des mines d’or au Mali, de diamants en Centrafrique, ou de lithium au Sahel, Africa Corps agit comme un vecteur d’appropriation directe des richesses. Ces ressources alimentent à la fois les caisses russes, la guerre en Ukraine, et la stratégie de contournement des sanctions occidentales.

Face à ce redéploiement russe, les États-Unis ont réagi avec lenteur. Mais Donald Trump semble vouloir changer la donne. Dès son retour au pouvoir, il a exprimé sa volonté de reprendre pied en Afrique, dans une logique strictement transactionnelle. Sa rencontre, le 10 juillet 2025, avec cinq chefs d’État africains symbolise cette nouvelle approche : les relations ne seront plus dictées par les discours moralisateurs, mais par des intérêts clairs. Washington est prêt à offrir investissements, infrastructures, voire coopération sécuritaire, en échange de soutien politique et d’un accès privilégié aux matières premières.

La politique africaine de Trump vise à contrer frontalement la montée de l’influence russe et chinoise sur le continent. Elle repose sur des alliances bilatérales avec des États considérés comme stables ou stratégiques, tels que le Sénégal, le Kenya ou le Nigeria. Cette vision décomplexée, pragmatique et utilitariste pourrait séduire des régimes en quête de partenaires sans condition démocratique, mais elle risque aussi d'accentuer la logique de fragmentation déjà à l’œuvre. Plutôt que de renforcer les institutions régionales, elle pourrait encourager un système de relations à la carte, où chaque État négocie directement son alignement contre promesse d’appui militaire ou financier.

Ainsi, l’Afrique se retrouve aujourd’hui au centre d’une nouvelle guerre froide, où les puissances mondiales s’affrontent non plus par idéologie, mais pour le contrôle des flux miniers, des routes logistiques et des leviers d’influence.  Entre les groupes terroristes, les mercenaires, les armées étrangères et les régimes autoritaires, l’avenir du Sahel — et au-delà, celui de l’Afrique subsaharienne — semble plus que jamais captif d’un rapport de force globalisé. Dans cette bataille sans merci, celui qui contrôle les ressources contrôle le futur. Et pour les puissances extérieures, l’Afrique n’est pas un partenaire : elle est un enjeu.

 




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