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26 juillet 2025

INTERNATIONAL : Reconnaissance de l’État palestinien par la France et levée de boucliers unanime d’Israël- Par G. Amidot

        
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Auteur : G. Amidot   🗓️ Date :26/07/2025

Kaleidoscope
 

Le 24 juillet 2025, Emmanuel Macron a officiellement annoncé que la France reconnaîtra l’État palestinien en septembre prochain.

Il a également déclaré vouloir co-organiser avec l’Arabie saoudite une conférence des Nations unies sur cette question cruciale. Cette prise de position française, longtemps attendue par certains cercles diplomatiques, a provoqué une réaction immédiate et extrêmement virulente en Israël. La condamnation ne s’est pas limitée au gouvernement de Benyamin Netanyahou : elle a mobilisé de nombreux journalistes, intellectuels, universitaires et membres de l’opposition, comme si une ligne rouge nationale avait été franchie. Ce rejet quasi unanime interroge. Comment un pays qui,
jadis, ne rechignait
pas  au dialogue avec les Palestiniens  a-t-il pu en arriver à considérer la reconnaissance d’un État palestinien comme un acte hostile, voire dangereux ? Que s’est-il passé dans la société israélienne pour qu’elle se ferme ainsi à une solution pourtant longtemps envisagée par ses propres dirigeants ?

Il faut remonter aux années 1990 pour retrouver l’époque où l’espoir d’un compromis était encore vif. Les accords d’Oslo de 1993, signés entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat sous médiation américaine, ouvraient la voie à une coexistence entre deux États. Ce moment charnière avait suscité un immense espoir, non seulement sur la scène internationale, mais aussi au sein de la société israélienne. Le camp de la paix n’était pas marginal : il comptait des figures de premier plan, comme le Premier ministre travailliste Rabin lui-même, Shimon Peres, ou encore des intellectuels respectés comme Amos Oz, David Grossman et AB Yehoshua. Des milliers de citoyens défilaient sous la bannière de la paix, notamment autour du mouvement "Shalom Akhshav" ("La paix maintenant"). L’assassinat de Rabin en 1995 par un extrémiste juif nationaliste fut un premier choc, mais il n’avait pas encore totalement éteint l’élan. C’est surtout l’échec du sommet de Camp David en 2000, suivi de l’explosion de la Seconde Intifada, qui a provoqué un tournant brutal dans l’opinion publique israélienne.

La Seconde Intifada, avec son cortège d’attentats-suicides et de violences urbaines, a profondément ébranlé la société israélienne. Pour beaucoup, elle a été perçue comme une trahison de la main tendue, une preuve que les Palestiniens n’étaient pas intéressés par un compromis pacifique. Ce traumatisme collectif a accéléré le repli sécuritaire et a marginalisé les voix en faveur d’un accord. La gauche politique a commencé son déclin, et le Likoud, parti de droite, a pris le dessus, incarnant une ligne dure et prudente face à toute concession.

L’évolution s’est poursuivie dans les années suivantes, notamment après le retrait unilatéral de Gaza en 2005 décidé par Ariel Sharon. Alors que ce retrait était censé démontrer la possibilité d’une désescalade, il a abouti à la prise de contrôle de Gaza par le Hamas, à la multiplication des tirs de roquettes sur le sud d’Israël et à une série de conflits meurtriers. Ce scénario a renforcé, pour une large part des Israéliens, l’idée que toute concession territoriale mène au chaos. À partir de là, l’idée même d’un État palestinien est devenue synonyme de menace pour la sécurité nationale. Le message dominant est devenu : pas de retrait, pas de confiance, pas de négociation.

Depuis 2009, Benyamin Netanyahou a quasiment monopolisé le pouvoir, contribuant à ancrer cette vision sécuritaire dans le paysage politique. La colonisation s’est accélérée, les alliances avec les partis religieux nationalistes se sont renforcées, et la rhétorique gouvernementale a exclu toute référence sérieuse à un futur État palestinien. Le gouvernement formé fin 2022 est allé encore plus loin dans cette direction. Il inclut des figures radicales comme Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, dont les positions relèvent de l’extrême droite religieuse, et qui rejettent ouvertement l’existence même d’un peuple palestinien. Ces responsables influencent désormais profondément les politiques menées, notamment en Cisjordanie.

Parallèlement, la société israélienne s’est fragmentée. Le poids croissant des religieux sionistes, la polarisation idéologique, les tensions avec les citoyens arabes israéliens et les séquelles de décennies de conflit ont profondément transformé les mentalités. Les jeunes générations grandissent dans un environnement où la paix n’est plus un horizon politique crédible, mais un souvenir d’une époque révolue. Les mouvements pacifistes existent encore, mais ils sont marginalisés. Être favorable à la création d’un État palestinien peut aujourd’hui vous valoir d’être qualifié de traître ou d’irréaliste, y compris dans les milieux universitaires.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la réaction israélienne à l’initiative française. Loin d’être vue comme une tentative de relance diplomatique, cette reconnaissance est perçue comme une attaque frontale. Le Premier ministre Netanyahou a dénoncé une "récompense donnée au terrorisme", tandis que même des voix centristes comme Benny Gantz ou Yair Lapid ont exprimé leur rejet de ce qu’ils considèrent comme un acte unilatéral aux conséquences graves. Dans la presse, la tonalité est tout aussi critique : éditorialistes, commentateurs, experts en sécurité ont, pour la plupart, jugé cette décision inacceptable, voire dangereuse. Les rares voix modérées, comme celle de Yossi Beilin, ancien négociateur d’Oslo, appellent à une approche plus coordonnée, mais reconnaissent qu’aujourd’hui, la majorité de la population israélienne est farouchement opposée à la création d’un État palestinien.

L’impasse actuelle est donc à la fois psychologique, idéologique et politique. Le traumatisme du passé, l’échec des tentatives précédentes, la montée de la droite religieuse et la fragmentation sociale ont produit un climat où la méfiance domine. Dans cet état d’esprit, toute initiative internationale en faveur de la reconnaissance palestinienne est perçue comme hostile. Ce que la France considère comme un geste diplomatique fort est ainsi interprété par une grande partie de la société israélienne comme une atteinte directe à sa sécurité et à sa légitimité.




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