Le tourisme de masse, longtemps perçu comme une bénédiction économique, suscite aujourd’hui des résistances de plus en plus visibles aux quatre coins du monde.
D’autres destinations ont choisi des réponses plus graduelles et pragmatiques. Venise a testé puis reconduit un ticket d’entrée pour les excursionnistes : cinq euros lors d’une phase pilote en 2024, générant 2,4 millions d’euros de recettes en moins d’un mois, puis dix euros en 2025 pour les visites de dernière minute. L’objectif est clair : lisser les pics de fréquentation et financer l’entretien urbain et la gestion des déchets. Au Japon, le Mont Fuji a instauré une réservation préalable et une redevance obligatoire de 4 000 yens par ascension, assorties d’une limitation quotidienne des passages sur la voie la plus fréquentée et d’une interdiction d’accès aux randonneurs de nuit non logés sur place. À Bali, une taxe de 150 000 roupies indonésiennes (environ dix dollars) a été introduite en 2024 pour l’environnement et la culture, mais son efficacité reste limitée car à peine un tiers des visiteurs l’ont effectivement payée la première année, forçant les autorités à renforcer les contrôles. Amsterdam, de son côté, combine plusieurs leviers : gel des constructions hôtelières, augmentation de la taxe de séjour, limitation des croisières dans le centre-ville et encadrement des comportements dans les quartiers sensibles. Ces mesures n’ont pas pour but de chasser les touristes, mais de les intégrer dans une dynamique plus soutenable.
Le Maroc, lui, se trouve à l’aube d’une phase d’attractivité record. Avec 15,9 millions de visiteurs enregistrés sur les onze premiers mois de 2024 et 8,9 millions d’arrivées au premier semestre 2025, en hausse de 19 % par rapport à l’année précédente, le pays progresse vers son objectif ambitieux de 26 millions de touristes d’ici 2030. Cette dynamique s’accompagne de projets d’envergure, comme l’élargissement de la capacité aéroportuaire de 38 à 80 millions de passagers à l’horizon 2030, et se verra accélérée par l’accueil de grands événements internationaux : la Coupe d’Afrique des Nations 2025, qui se déroulera entre décembre 2025 et janvier 2026, et surtout la Coupe du monde 2030, organisée conjointement avec l’Espagne et le Portugal. Ces échéances constituent autant d’opportunités que de défis, notamment en termes de gestion des flux, de consommation d’eau et d’énergie, et de préservation des médinas et des sites naturels.
Pour éviter que l’enthousiasme touristique ne se transforme en rejet, le Maroc peut s’inspirer des solutions déjà expérimentées ailleurs tout en les adaptant à ses réalités. L’instauration de redevances de visite modulées, payées en amont via des systèmes numériques simples, et intégralement dédiées à l’entretien, à la propreté et à la protection des ressources locales, pourrait être testée dans des sites sous pression comme Chefchaouen, les cascades d’Ouzoud ou certains ksour sahariens. La mise en place de quotas et de billets horodatés pour les lieux à faible capacité écologique permettrait de répartir la fréquentation sans pénaliser l’économie. En parallèle, des itinéraires alternatifs et mieux conçus pourraient allonger la durée des séjours sans saturer Marrakech, Fès ou Essaouira, tandis que des mesures de sobriété hydrique et énergétique deviendraient obligatoires pour les hébergements labellisés, surtout lors des grands événements. Le développement touristique ne doit pas se faire au détriment de la population locale : la régulation des locations de courte durée, inspirée de Barcelone, avec des plafonds par quartier et des incitations au bail longue durée, apparaît également comme une piste sérieuse.
Enfin, chaque grande manifestation sportive ou culturelle pourrait être l’occasion d’expérimenter des centres de commande dédiés à la gestion des flux et des déchets, avec une communication en temps réel sur la fréquentation, les temps d’attente, le tri et la propreté urbaine. L’intégration de la billetterie transport et des accès aux sites touristiques contribuerait à lisser les pics avant et après les matchs de la CAN ou de la Coupe du monde. Ces mesures ont un point commun : elles traitent la rareté – qu’il s’agisse du temps, de l’espace ou de l’eau – en jouant sur des outils économiques (prix dynamiques, quotas), des normes techniques et la transparence des résultats. Elles ne cherchent pas à restreindre le tourisme, mais à en améliorer la qualité, à assurer un meilleur retour pour les territoires et à préserver ce qui en fait l’attrait premier.
Le Maroc a donc l’opportunité de prendre une trajectoire proactive et d’éviter que la promesse de richesse et de rayonnement que représente son tourisme ne se transforme en source de tensions. La bonne équation n’est pas de multiplier les arrivées à tout prix, mais de développer un tourisme mieux réparti, plus respectueux des ressources et plus bénéfique pour les populations qui font vivre les territoires visités. La levée de boucliers qui se dessine ailleurs n’est pas une fatalité ; c’est un avertissement, et surtout une chance d’agir avant qu’il ne soit trop tard.
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