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16 août 2025

INTERNATIONAL : Justice internationale inefficace ou droit international à deux vitesses ? Par N. Lemaire

        ✍️Auteur :  N. Lemaire 🗓️ Date : 16/08/2025

Kaleidoscope 

En observant l’évolution du système international à l’ombre de la guerre en Ukraine, une impression s’impose : celle d’un droit international à deux vitesses. D’un côté, une justice visible et énergique lorsqu’il s’agit de cibler certains dirigeants, de l’autre, une impunité manifeste lorsque les intérêts des grandes puissances entrent en jeu.

La guerre en Ukraine illustre bien ce paradoxe. Le mandat d’arrêt lancé par la Cour pénale internationale (CPI) contre Vladimir Poutine en 2023 a marqué un tournant symbolique fort : pour la première fois, un membre permanent du Conseil de sécurité était visé directement. Pourtant, l’effectivité d’une telle décision reste suspendue à la coopération des États, ce qui relativise sa portée et nourrit l’idée d’une justice inachevée.

Cette sélectivité tient en partie à la structure même du système. La CPI ne peut agir pleinement que si les États coopèrent ou si le Conseil de sécurité de l’ONU lui transmet un dossier. Or, ce mécanisme est fortement politisé : le Darfour et la Libye avaient été déférés, mais la Syrie, en 2014, a échappé à toute enquête du fait du veto sino-russe. Le résultat est une justice partielle, tributaire des rapports de force, où certains criminels présumés échappent à toute poursuite. Cette dépendance renforce l’idée que le droit international n’est pas appliqué de façon uniforme.

La critique est d’autant plus vive que certaines puissances refusent elles-mêmes la compétence de la CPI tout en saluant ses décisions lorsqu’elles servent leurs intérêts. Les États-Unis, qui ne sont pas parties au Statut de Rome, oscillent depuis des années entre soutien opportuniste et rejet frontal. Leur récente décision de réactiver des sanctions contre le procureur de la CPI, au moment même où l’institution poursuivait son action contre la Russie, illustre parfaitement ce double discours. Ce contraste entre l’accueil enthousiaste du mandat contre Moscou et la contestation d’enquêtes visant d’autres contextes nourrit le reproche de justice sélective.

Les affaires liées au Proche-Orient renforcent encore cette perception. En mai 2024, le procureur de la CPI a demandé simultanément des mandats contre des responsables du Hamas et contre des dirigeants israéliens, revendiquant une approche équilibrée. Mais les réactions politiques, très contrastées selon les capitales, ont mis en lumière les lignes de fracture. La Cour internationale de Justice (CIJ), de son côté, a ordonné à Israël de prendre des mesures provisoires pour prévenir un risque de génocide à Gaza, mais la mise en œuvre concrète reste incertaine. Ces épisodes alimentent dans le Sud global le sentiment que le droit international sert d’abord de levier diplomatique des puissants, plus que de cadre universel de justice.

L’Afrique a été au cœur de ces débats. Pendant longtemps, la majorité des dossiers traités par la CPI concernaient des pays africains, ce qui a conduit à un ressentiment profond sur le continent. Plusieurs États ont défié la Cour en refusant d’arrêter Omar el-Béchir, malgré les mandats en vigueur, dénonçant une justice « contre l’Afrique ». Même si certaines juridictions nationales ont fini par rappeler les obligations légales, la perception d’un biais demeure vivace, renforçant l’accusation d’une justice internationale qui frappe surtout les faibles.

Pourtant, il serait excessif de conclure à la totale vacuité du droit international. Des avancées existent et démontrent qu’une justice moins sélective est possible. Le procès « al-Khatib » en Allemagne, qui a abouti à la condamnation d’un ancien officier syrien pour crimes contre l’humanité grâce au principe de compétence universelle, a montré que des tribunaux nationaux pouvaient combler les failles laissées par les juridictions internationales. De même, les ordonnances de la CIJ, même dépourvues de moyens coercitifs directs, fixent des repères juridiques importants et structurent les coûts politiques pour les États qui s’y soustraient.

Réduire l’impunité sélective suppose toutefois de réformes profondes. Plusieurs pistes sont évoquées : limiter l’usage du veto au Conseil de sécurité lorsqu’il s’agit d’atrocités de masse, renforcer les capacités judiciaires nationales en cohérence avec la CPI, et protéger davantage l’indépendance des juridictions internationales contre les pressions étatiques. C’est à ces conditions que le droit pourrait réellement prétendre à l’universalité qu’il revendique.

L’idée d’un droit international à deux vitesses reflète moins une fatalité qu’un décalage permanent entre des normes ambitieuses et un monde régi par des rapports de puissance inégaux. La CPI et la CIJ ont prouvé qu’elles pouvaient établir des lignes rouges, mais leur crédibilité dépend de la cohérence des États et de la mobilisation transnationale. Sans cette cohérence, la justice restera plus rapide à frapper les faibles qu’à atteindre les puissants ; avec elle, elle pourrait devenir progressivement un instrument moins sélectif et plus universel.

 





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