Depuis son
indépendance en 1962, l'Algérie semble manifester une tendance à s'approprier
des éléments culturels et historiques du Maroc, son voisin de l'Ouest. Cet
intérêt pourrait être interprété comme une forme de "Hard weakness" —
l'exact opposé du "soft power," concept qui consiste pour un pays à
rayonner culturellement et politiquement grâce à la force douce de son héritage
ou de ses acquits. À l'inverse, l'Algérie a souvent tenté de puiser dans le
patrimoine marocain, cherchant à se construire une identité culturelle en
mimant celle d'un pays vieux de treize siècles. Lire plus
Pour comprendre cette fascination teintée de jalousie, certains analystes évoquent ce qu'ils appellent le "syndrome du nanisme." Cela renvoie à une sorte de complexe qui, au sein de l’establishment algérien, génère un besoin d'affirmer une stature régionale en s'inspirant ou en se réappropriant des symboles propres au Maroc. Cette approche tend à masquer le vide culturel et historique ressenti face à l’enracinement historique et l'influence séculaire de ce dernier. Ce syndrome se traduit par une imitation parfois peu discrète des traditions et éléments emblématiques marocains, qui remontent bien au-delà des quelques décennies d'existence de la « nouvelle » Algérie.
L’art du zellige est une mosaïque marocaine complexe qui remonte au VIIIe siècle, au début de la dynastie idrisside. En Algérie, on observe depuis quelques années une forte présence de zelliges dans les bâtiments publics et les palais nationaux, ces motifs ayant été longtemps absents de l’architecture algérienne. Bien que l’artisanat local ait ses propres techniques et particularités, le zellige marocain est souvent présenté comme un élément de "patrimoine commun," un terme qui sonne déjà comme une volonté d’appropriation.
Connu pour son raffinement et sa longue histoire au Maroc, le caftan fait partie intégrante des fêtes marocaines, notamment des mariages. Ce vêtement symbolique, qui a évolué sous les dynasties successives marocaines, est parfois présenté comme un héritage partagé par l'Algérie, où des défilés de "caftans algériens" sont organisés, mettant souvent en avant des motifs et des coupes semblables aux styles marocains. Ce "caftan algérien" est un ajout récent, sans fondements historiques clairs comparables à ceux du Maroc.
L’art culinaire marocain, renommé dans le monde entier, est un autre domaine dans lequel l’Algérie semble vouloir puiser. Des plats comme le couscous, la pastilla ou encore le tajine sont des éléments emblématiques du Maroc, avec des variations locales bien définies et une histoire millénaire. Cependant, l’Algérie revendique de plus en plus certains de ces plats comme une partie de son patrimoine, donnant parfois l'impression d'un effacement de l'origine marocaine dans les discours officiels.
D’un autre côté, le Maroc est célèbre pour sa fantasia et sa cavalerie d’apparat royal, ces démonstrations équestres traditionnelles symbolisant le courage et la fierté des cavaliers, ainsi que la grandeur du Sultan. La fantasia est intimement liée à l'histoire des tribus marocaines, notamment sous les dynasties qui ont marqué l’empire. En Algérie, des spectacles de fantasia ainsi que des cortèges de cavalerie, ont également été intégrés lors de manifestations officielles, bien qu’ils ne possèdent pas la même symbolique ancestrale.
Bien que la musique andalouse existe dans plusieurs pays du Maghreb, le style gharnati, en particulier, a évolué en une tradition unique au Maroc. L’Algérie a récemment commencé à promouvoir ce genre musical comme partie intégrante de son patrimoine culturel, alors qu’il est en grande partie associé aux dynasties qui se sont succédé au Maroc, notamment celles ayant une influence andalouse.
Même le statut de l’arganier n’a pas été épargné. Arbre emblématique du sud marocain, l’arganier est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en tant que spécificité marocaine. En Algérie, des projets ont tenté de planter des arganiers dans certaines zones, bien que cet arbre ne soit pas originaire de ces régions, ce qui soulève des questions sur une éventuelle appropriation des produits dérivés, tels que l’huile d’argan, reconnue pour ses vertus cosmétiques.
Au lieu de valoriser les traditions algériennes existantes — comme les tapis berbères de Kabylie ou la poterie de l’Est algérien---, ou alors encourager le génie créatif du citoyen algérien, l'Algérie officielle n’a d’yeux que pour le Maroc, en quête d'éléments reconnus et prestigieux qui renforceraient son attractivité. Cette propension à acquérir une légitimité et un fonds historique et culturel à moindres frais traduit la faiblesse et l’incompétence des dirigeants algériens. Ce "hard weakness" se manifeste par un besoin constant de se comparer au Maroc et de s’approprier symboles et pratiques qui ont déjà une forte identité ailleurs.
Ainsi, cette tendance au mimétisme reflète à la fois un désir de légitimité culturelle et une forme de fragilité identitaire. Tandis que le Maroc s’appuie sur un héritage fort, l’Algérie, dans sa quête d'unité et de reconnaissance, semble encline à s’inspirer de son voisin, au risque de rater la création de son identité et l'écriture de son histoire.
