L'Afrique de l’Ouest est le théâtre d'une instabilité croissante marquée par des coups d’État militaires successifs au Mali, au Burkina Faso, au Niger, et en Guinée. Ces renversements traduisent un rejet populaire des gouvernements civils perçus comme inefficaces face à la menace terroriste et à la crise socio-économique. Mais au-delà de ces dynamiques internes, une recomposition sécuritaire plus large est en cours. Lire plus
La France, historiquement ancrée en Afrique de l’Ouest, voit son influence remise en question. Jadis acteur incontournable à travers des interventions militaires comme Serval et Barkhane, elle fait désormais face à un sentiment anti-français croissant. Les échecs perçus de ces opérations dans la lutte contre le terrorisme, combinés à des accusations de néo-colonialisme, ont fragilisé sa position.
Les régimes militaires issus des coups d'État ont rompu avec la France, favorisant d'autres partenaires, notamment la Russie. Pourtant, Paris conserve des leviers importants, comme ses liens économiques et diplomatiques avec la CEDEAO, mais sa capacité à peser sur les recompositions sécuritaires est de plus en plus contestée.
La conquête de Kidal, ville malienne du Nord, par l’armée et les paramilitaires russes de Wagner a porté le coup de grâce aux accords d’Alger de 2015 qui avaient longtemps servi la stratégie d’influence de l’Algérie dans la région. L’Algérie voit son rôle stratégique dans la région réduit à néant. Avec des frontières directes avec le Sahel, Alger craint l'instabilité qui pourrait affecter sa propre sécurité. Ses ambitions, toutefois, sont également motivées par ses rivalités avec le Maroc et ses aspirations à contester l'influence française au sud du Sahara.
La Russie, quant à elle, émerge comme un acteur disruptif dans cette recomposition sécuritaire. Exploitant les sentiments anti-français, elle offre une alternative aux régimes militaires à travers une coopération militaire et économique. Le groupe Wagner, symbole de la stratégie russe en Afrique, est désormais actif au Mali et dans d'autres pays de la région, fournissant des services de sécurité en échange de concessions minières ou autres avantages économiques. Moscou se présente comme un allié anti-impérialiste, mais ses interventions, souvent motivées par des intérêts financiers à court terme, risquent de fragiliser davantage des États déjà en crise.
Cette recomposition sécuritaire reflète une compétition géopolitique intense, mais elle met aussi en lumière les limites des nouveaux partenariats. Les régimes militaires, bien que tournés vers Moscou ou d'autres partenaires, peinent à répondre aux besoins de sécurité et de développement de leurs populations. La fragmentation des alliances et l’absence de coordination régionale risquent de renforcer l’insécurité, alors que les groupes terroristes exploitent les failles des États affaiblis. La CEDEAO, autrefois un acteur stabilisateur, semble également impuissante face à la multiplication des crises.
L’émergence du Maroc dans la géostratégie sahélienne ajoute une nouvelle dimension à cette recomposition sécuritaire et géopolitique. Avec sa politique d’ouverture sur l’Afrique subsaharienne, le Maroc s’impose comme un acteur clé grâce à une diplomatie économique proactive et une stratégie de hub africain. À travers des investissements massifs dans les secteurs des infrastructures, des banques et des télécommunications, Rabat renforce ses liens avec les pays sahéliens, leur offrant un corridor vers l’Atlantique. Des projets tels que le gazoduc Nigéria-Maroc ou le port de Tanger Med illustrent cette volonté d’intégration économique et logistique, plaçant le Maroc comme un partenaire stratégique pour le Sahel, capable de diversifier ses débouchés et ses alliances.
Sur le plan sécuritaire, le Maroc joue également un rôle croissant. Engagé dans la lutte contre le terrorisme et le radicalisme, il partage son expertise en matière de formation religieuse et de déradicalisation, tout en consolidant ses relations militaires avec plusieurs pays de la région. Cette approche, alliant soft power et coopération sécuritaire, positionne le royaume comme un acteur stabilisateur au moment où la concurrence entre puissances s’intensifie. En s’impliquant dans la géostratégie sahélienne, le Maroc ne se contente pas de défendre ses intérêts ; il aspire également à être une alternative crédible à la domination française et à l’expansion russe dans la région. Cette dynamique pourrait redessiner les équilibres de pouvoir en Afrique de l’Ouest et substituer le rôle du Maroc à celui du triangle d’influence formé par la France, l’Algérie et la Russie en cours de déliquescence.