À LA UNE
SUIVEZ-NOUS SUR Suivez-nous

23 avril 2025

INTERNATIONAL : Religion et identité- Par N. Lemaire

Publié par N. Lemaire le 23/4/2025


Le rôle des courants religieux dans les conflits contemporains est une problématique centrale dans l’analyse géopolitique actuelle.

Loin de se limiter à la sphère spirituelle, les religions, lorsqu’elles s’articulent autour d’enjeux identitaires et politiques, deviennent des moteurs puissants de mobilisation, de division et parfois de violence. Deux exemples emblématiques de cette instrumentalisation sont l’islam politique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, ainsi que le nationalisme hindou en Inde. À cela s’ajoute la répression brutale des musulmans ouïghours en Chine, reflet d’une politique de contrôle idéologique, et la résurgence du catholicisme dans certains pays européens, dans un contexte identitaire post-sécularisation.

L’islam politique, apparu en réaction aux échecs du nationalisme arabe laïc et aux ingérences étrangères, a progressivement pris une dimension conflictuelle. Des groupes comme les Frères musulmans ou des mouvements plus radicaux ont vu dans l’islam non seulement une foi, mais un projet politique global. Dans certains contextes, comme en Égypte ou en Turquie, ce courant s’est exprimé à travers des partis cherchant à gouverner démocratiquement selon des principes religieux. Mais ailleurs, cette politisation de la religion a mené à des guerres civiles, à l’instar de la Syrie ou de l’Irak, où les clivages confessionnels ont été exacerbés. L’islam politique, perçu comme une menace par plusieurs États autoritaires, est aussi devenu un prétexte à une répression féroce, comme en Égypte après le coup d’État de 2013.

En Inde, le nationalisme hindou, porté principalement par le Bharatiya Janata Party (BJP) et son organisation mère, le RSS, repose sur une vision exclusive de l’identité nationale. Selon cette idéologie, l’hindouité (hindutva) est considérée comme l’essence même de la nation indienne. Cette posture marginalise les minorités, en particulier les musulmans, accusés d’être des « intrus » ou des menaces pour l’unité nationale. Cela a conduit à une montée de la violence intercommunautaire, comme en témoignent les émeutes de Delhi en 2020, et à des politiques discriminatoires telles que la loi sur la citoyenneté de 2019. Ce courant illustre comment une majorité religieuse peut instrumentaliser la religion pour renforcer un pouvoir autoritaire et identitaire.

La Chine, bien qu’officiellement athée, mène une politique de contrôle absolu sur les pratiques religieuses perçues comme des menaces pour l’unité nationale. Le cas des Ouïghours, musulmans turcophones de la région du Xinjiang, est particulièrement révélateur. Sous couvert de lutte contre le séparatisme et l’extrémisme, Pékin a mis en place un système de répression massive : camps de rééducation, surveillance technologique, destruction de lieux de culte, interdictions culturelles. Cette politique vise à éradiquer toute forme d’identité religieuse autonome, perçue comme incompatible avec les valeurs du Parti communiste chinois. Ici, la religion n’est pas un acteur direct du conflit, mais bien la cible d’une politique assimilationniste brutale.

En parallèle de ces dynamiques conflictuelles, l’Europe connaît une résurgence relative du catholicisme, notamment dans certains pays d’Europe centrale et de l’Est comme la Pologne ou la Hongrie. Ce retour du religieux, souvent soutenu par des gouvernements conservateurs, s’articule autour de la défense des « valeurs chrétiennes » face à ce qui est perçu comme une crise morale de l’Occident, un multiculturalisme imposé, ou une menace migratoire. Ce phénomène, bien qu’encore minoritaire dans l’Europe occidentale, participe d’un discours identitaire qui utilise la religion comme marqueur culturel et politique, parfois contre l’islam ou le libéralisme.

Ainsi, les courants religieux, qu’ils soient utilisés pour fonder un projet politique ou pour renforcer une identité nationale, sont aujourd’hui des facteurs majeurs dans de nombreux conflits. Leur rôle n’est pas intrinsèquement conflictuel, mais c’est leur instrumentalisation par des acteurs politiques qui les rend souvent sources de tensions. Dans ce contexte, la frontière entre foi personnelle et projet idéologique devient floue, et la religion, au lieu de pacifier, devient un vecteur d’exclusion ou de domination.

En conclusion, qu’il s’agisse de l’islam politique, du nationalisme hindou, de la répression des Ouïghours ou du retour du catholicisme comme identitaire en Europe, les religions sont profondément entremêlées aux enjeux de pouvoir, d’identité et de souveraineté. Une lecture fine de ces dynamiques est essentielle pour comprendre les tensions contemporaines, tout en gardant à l’esprit que les religions, en elles-mêmes, ne sont ni violentes ni pacifiques : ce sont les usages qu’on en fait qui déterminent leur rôle dans les conflits.

 

  Abonnez-vous 👍

SUIVEZ-NOUS SUR ▼▼