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06 juin 2025

BILLET : Maroc, cohabiter avec les chiens errants ! Par A. Laalioui

Publié par A. Laalioui le 6/6/2025

 

 Depuis quelques années, les Marocains ont peu à peu vu leur quotidien bouleversé par une cohabitation qui ne dit pas son nom : celle avec les chiens errants.

Dans les grandes villes comme dans les zones rurales, ces animaux, livrés à eux-mêmes, sont devenus partie intégrante du paysage urbain, occupant ruelles, marchés, plages, terrains vagues ou abords d’écoles. À Casablanca par exemple, plus de 2 500 chiens errants sont capturés chaque année, selon les chiffres officiels. Chaque année, on compte en moyenne 23 à 30 décès au Maroc à la suite d’attaques ou morsures par des chiens errants. Récemment encore, un enfant de 11 ans a été grièvement blessé à Béni Mellal, et un autre dans un état critique à  Agadir  le 5 mai. après une attaque, soulignant la gravité croissante de la situation.

Ce phénomène, qui s’est aggravé ces dernières années, trouve ses racines dans plusieurs facteurs. La mauvaise gestion municipale, l’absence de contrôles efficaces sur la reproduction canine, les failles dans le système de collecte et de stérilisation, ainsi qu’une urbanisation anarchique qui laisse de nombreux déchets à la portée des meutes, expliquent en grande partie l’ampleur du problème. Pourtant, dès 2019, une convention nationale baptisée TNVR (Trap, Neuter, Vaccinate, Release – Capturer, Stériliser, Vacciner, Relâcher) avait été signée entre les ministères de l’Intérieur, de la Santé, l’ONSSA, et l’Ordre des vétérinaires pour adopter une approche durable et éthique à cette question.

Mais sur le terrain, la mise en œuvre de cette stratégie reste très en deçà des ambitions affichées. Les communes manquent de moyens ou ne s’investissent pas pleinement, les infrastructures comme les dispensaires animaliers et bureaux communaux d’hygiène ne sont pas encore généralisés, et les ONG partenaires de la première heure sont souvent mises à l’écart, parfois remplacées par des prestataires ou associations peu qualifiés. Au total, près de 608 millions de dirhams ont été investis depuis 2019, et plus de 76 centres de soins et de gestion ont été créés dans les principales villes du royaume. Quinze agglomérations disposent désormais de dispensaires animaliers modernes, avec l’objectif de couvrir l’ensemble du territoire d’ici la fin de 2025.

Malgré cela, des tensions subsistent. Des chiens marqués (censés être stérilisés et relâchés) continuent de disparaître ou d’être abattus illégalement. Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent des scènes choquantes d’abattage à vif, parfois en présence d’enfants ou de riverains. Officiellement, les autorités ont interdit l’usage d’armes à feu ou de substances toxiques comme la strychnine. Mais dans les faits, de nombreuses communes recourent encore à ces pratiques, souvent en réaction à des plaintes ou à des tragédies locales. Ce décalage entre les circulaires nationales et leur application réelle a provoqué, début mai 2025, une forte réaction de la société civile : un collectif de 23 ONG a adressé une lettre ouverte aux autorités pour dénoncer les dérives et demander une mise en œuvre sérieuse de la stratégie TNVR.

L’urgence se fait d’autant plus sentir que le Maroc accueillera dans quelques mois la Coupe d’Afrique des Nations 2025, et qu’il prépare également la Coupe du Monde de 2030. La présence de chiens errants dans les rues des villes hôtes pourrait ternir l’image du pays, au-delà des risques sanitaires et sécuritaires qu’elle pose. Les autorités sont donc pressées d’agir vite, mais doivent composer avec une équation délicate : réduire la population canine visible sans basculer dans des méthodes violentes ou contraires aux engagements pris en matière de bien-être animal.

Des solutions réalistes existent pourtant. À court terme, il est possible d’accélérer les campagnes de stérilisation et de vaccination dans les zones critiques, de créer des refuges temporaires pour les chiens capturés, et de former davantage d’équipes municipales aux méthodes humanitaires. À moyen et long terme, il faudra renforcer les lois encadrant la gestion animale, instaurer un suivi rigoureux des pratiques des communes, élargir les programmes de sensibilisation à la population, et surtout reconnaître pleinement le rôle des ONG dans cette lutte complexe. L’université vétérinaire Hassan II, sollicitée pour un recensement national des chiens errants, devra aussi livrer des estimations fiables pour guider les politiques publiques.

En mai 2025, le Maroc se trouve donc à un carrefour : ou bien il parvient à assainir durablement ses espaces publics tout en respectant ses engagements éthiques, ou bien il cède à des mesures d’urgence non durables qui risquent de dégrader son image et de relancer la spirale de la violence envers les animaux. L’opinion publique, elle, reste partagée : entre peur, compassion et exaspération, les citoyens attendent des actes concrets. Plus que jamais, le succès de la gestion des chiens errants devient un révélateur du rapport entre société, institutions et vivre-ensemble.



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