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Le Maroc est souvent présenté comme un modèle de développement en Afrique du Nord, avec une économie ouverte, industrialisée et attractive pour les investisseurs étrangers. Pourtant, derrière cette vitrine moderne, subsiste une réalité duale : un tissu économique dominé à plus de 80 % par l’informel, un chômage endémique chez les jeunes et de profondes inégalités territoriales.
Le Maroc affiche une trajectoire économique dynamique depuis
les années 2000, portée par des réformes structurelles, des investissements
étrangers directs (IDE) soutenus — notamment dans l'automobile, l'aéronautique
et les énergies renouvelables — et une diversification progressive de son tissu
productif. Le pays est aujourd’hui la cinquième économie d’Afrique avec un PIB
nominal d’environ 150 milliards de dollars (2024), et un taux de croissance
oscillant entre 3% et 4% en moyenne. Toutefois, cette dynamique masque une fracture
profonde entre un secteur formel modernisé et un secteur informel très étendu.
Selon les chiffres de la Banque mondiale et du HCP, environ 40% du PIB est
généré par l’économie informelle, tandis que plus de 83% des entreprises ne
sont pas immatriculées légalement. Ce paradoxe — entre modernisation et
informalité massive — s’explique par plusieurs facteurs : lourdeur
administrative, fiscalité complexe, faible accès au financement formel, et
inadéquation entre formation et marché du travail. L’informalité est
particulièrement concentrée dans l’agriculture, le commerce de détail, le
bâtiment, les transports et les services domestiques.
Le Maroc est devenu un hub industriel africain dans des domaines tels que l’automobile
(premier secteur exportateur avec plus de 120 milliards de dirhams
d’exportations en 2023), l’aéronautique, le textile, et plus récemment les
batteries et les semi-conducteurs. Cependant, ces activités sont souvent enclavées,
avec des chaînes de valeur dominées par des filiales d’entreprises étrangères,
peu d’effets d’entraînement sur les PME locales et un impact limité sur
l’emploi local qualifié. Cela limite la formalisation du tissu économique.
Malgré ces performances sectorielles, le chômage des jeunes dépasse 30% en
milieu urbain, et près de 70% des jeunes de 15 à 29 ans ne sont ni en emploi,
ni en éducation, ni en formation (NEET). Ce déséquilibre souligne une
inadéquation entre le modèle de croissance fondé sur les IDE et la capacité
d’absorption du marché du travail. Le secteur informel, moins exigeant sur les
compétences, devient ainsi le refuge par défaut, renforçant le cercle vicieux
de la précarité.
Le secteur agricole représente 13 à 14% du PIB mais emploie plus de 35% de la
population active, majoritairement de manière informelle. Soumis à une forte
volatilité liée au climat, il constitue un facteur d’instabilité économique et
sociale. Les politiques comme le « Plan Maroc Vert » ou « Génération Green »
ont permis des gains de productivité dans certains périmètres irrigués, mais la
petite agriculture pluviale reste marginalisée, ce qui pousse des millions de
ruraux vers des formes d’auto-emploi informel en ville.
Dans les grandes villes, le commerce de détail informel représente plus de 60%
du chiffre d’affaires total du secteur, selon les données du HCP. Les marchés
populaires, les petits taxis, la restauration de rue, ou encore les services
domestiques forment un « éco-système informel » vital mais peu régulé, qui
échappe à la fiscalité et aux mécanismes de protection sociale. Ce segment est
à la fois source de résilience pour les populations pauvres et frein à la
modernisation de l’économie.
Pour sortir de cette dualité, le Maroc doit repenser son contrat économique et
social. La réforme de la protection sociale universelle en cours, l’intégration
numérique, la simplification administrative via le digital (Guichet unique,
DAMANCOM, etc.) et la fiscalité proportionnelle sont autant de leviers pour
encourager la formalisation. Le secteur informel ne peut pas être éliminé
brutalement, mais doit être progressivement accompagné vers l’intégration, via
des incitations ciblées, la microfinance, et l’inclusion numérique.
Si les réformes actuelles se poursuivent avec cohérence, on peut estimer qu’à l’horizon 2030, la part du secteur informel dans le PIB pourrait baisser à environ 25%, et celle des entreprises informelles à 60%. L’industrie formelle pourrait voir sa part passer de 19% à près de 25% du PIB, à condition de renforcer les chaînes locales de valeur. La digitalisation des services publics, la régionalisation économique, et l’investissement dans le capital humain seront décisifs pour convertir les millions d’unités informelles en micro-entreprises légales, et faire du Maroc non pas seulement une économie émergente, mais inclusive et durable.
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