Depuis quelques années, l’image de jeunes Marocains, parfois
mineurs, s’élançant à la nage vers l’enclave espagnole de Ceuta est devenue
tristement familière.
Le Maroc compte environ 1,5 million de NEETs (jeunes de 15 à 24 ans n’étant ni en emploi, ni en études, ni en formation) sur 5,9 millions de jeunes de cette tranche d’âge. Ces chiffres illustrent un mal-être généralisé, où le manque de perspectives nourrit l’envie de partir, même au prix de sa vie. Les traversées à la nage de Fnideq vers Ceuta s’inscrivent dans ce contexte : elles ne sont pas l’option la plus rationnelle, mais la plus désespérée.
Historiquement, la frontière entre Fnideq et Ceuta permettait des allers-retours quotidiens pour travailler, faire des achats ou se soigner. « Autrefois, les gens partaient travailler à Sebta avec seulement des papiers, d’autres même sans », confient des habitants. La libre circulation de biens, de services et de personnes rendait inutile toute tentative périlleuse de traversée à la nage.
Fnideq et Nador partagent des liens historiques, familiaux et économiques forts avec leurs voisines espagnoles, Ceuta et Melilla. La fermeture abrupte des frontières, en mars 2020, a mis fin à cette dynamique séculaire. Ce lien vital – pour l’emploi, le commerce et la vie sociale – a été rompu du jour au lendemain.
Les conséquences ont été immédiates. Sur le plan sanitaire, les habitants de Fnideq et des environs se rendaient traditionnellement à Ceuta pour se faire soigner, profitant d’une meilleure infrastructure médicale. Les médicaments, 70 % moins chers à Ceuta, y étaient achetés en masse. Avec la fermeture, ces solutions ont disparu, créant un vide sanitaire et une hausse du coût de la vie quotidienne.
Privés de travail transfrontalier, de commerce informel et d’accès aux soins, de nombreux jeunes de Fnideq se sont retrouvés sans revenus ni horizon. C’est dans ce contexte qu’ont commencé les traversées à la nage vers Ceuta. Pour beaucoup, il ne s’agit pas seulement d’atteindre l’Espagne, mais de fuir une situation perçue comme sans issue. Les images de groupes de jeunes affrontant les vagues, parfois au milieu de la nuit, témoignent d’un choix désespéré face à l’absence d’alternatives.
Ces scènes envoient une image dure et contrastée du Maroc : celle d’un pays qui s’impose comme hub africain, développe des industries compétitives et renforce son soft power… mais laisse sur le rivage une partie de sa jeunesse, contrainte de chercher ailleurs un avenir. Les traversées de Fnideq/Ceuta ne sont pas seulement un drame humain ; elles sont un révélateur social et politique, et un appel à repenser les politiques de jeunesse, l’aménagement du territoire et l’inclusion économique.
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