La diplomatie des sanctions, devenue un outil central de la
politique étrangère occidentale, vise à exercer une pression économique,
financière et commerciale sur des États jugés coupables de violations du droit
international, de menaces à la sécurité ou de comportements contraires aux
intérêts stratégiques des pays émetteurs.
En théorie, ces mesures visent à modifier le comportement du pays ciblé sans recourir à la force militaire. Elles reposent sur l’idée que l’isolement économique et la pression interne pousseront les élites au pouvoir à changer de cap. Toutefois, les résultats réels sont souvent mitigés. Dans le cas de la Russie, malgré un arsenal sans précédent de sanctions occidentales — excluant ses banques du système SWIFT, limitant ses exportations d’hydrocarbures et interdisant des technologies stratégiques —, le Kremlin n’a pas modifié sa politique en Ukraine. Au contraire, l’économie russe a su s’adapter partiellement, notamment grâce à la hausse des prix de l’énergie et au redéploiement de ses échanges vers d’autres partenaires.
Pour l’Iran, l’expérience montre que si les sanctions ont durement affecté l’économie — notamment en réduisant les revenus pétroliers et en provoquant une inflation massive — elles n’ont pas empêché le pays de poursuivre son programme nucléaire. Les autorités iraniennes ont même utilisé la rhétorique anti-sanctions pour renforcer la cohésion nationale et désigner l’Occident comme adversaire commun. Les sanctions tendent ainsi, paradoxalement, à consolider les régimes qu’elles cherchent à affaiblir, en leur offrant un prétexte pour centraliser davantage le pouvoir et réprimer l’opposition.
Un autre effet contre-productif réside dans l’accélération des stratégies de contournement. Les pays du Sud global — Chine, Inde, Turquie, Émirats arabes unis, Brésil, Afrique du Sud, entre autres — ont intensifié leurs échanges avec les États sanctionnés, souvent à des conditions avantageuses. Cela se traduit par de nouveaux circuits commerciaux en monnaies locales ou en yuan, par des systèmes financiers alternatifs à SWIFT, et par le développement d’alliances géopolitiques hors du champ occidental. Cette dynamique contribue à un rééquilibrage du commerce mondial et affaiblit l’universalité des sanctions comme instrument de politique étrangère.
Les sanctions peuvent aussi avoir des effets humanitaires désastreux. Si elles sont officiellement « ciblées » contre les élites et les secteurs stratégiques, elles frappent souvent indirectement les populations : pénurie de médicaments, hausse des prix des biens de base, chômage, contraction de l’investissement. L’image des pays sanctionneurs en pâtit, notamment dans les opinions publiques du Sud, qui perçoivent cette politique comme punitive et unilatérale, parfois hypocrite, car elle ne s’applique pas à des alliés auteurs de violations similaires.
Sur le long terme, la diplomatie des sanctions risque de perdre de son efficacité si elle devient trop systématique. Les États visés apprennent à s’adapter, à diversifier leurs partenaires et à renforcer leurs capacités de production nationale. De plus, le recours excessif aux sanctions financières contre des économies majeures comme la Russie ou la Chine pourrait fragiliser le rôle du dollar et de l’euro dans le commerce international, accélérant la recherche d’alternatives monétaires.
La diplomatie des sanctions reste un instrument puissant mais à double tranchant. Utilisée de façon mesurée, coordonnée et assortie d’une véritable stratégie diplomatique, elle peut contribuer à infléchir certains comportements. Mais appliquée massivement et sans perspective de dialogue, elle tend à renforcer les fractures géopolitiques, à encourager les réseaux de contournement et à nourrir l’émergence d’un ordre mondial plus fragmenté, où l’influence occidentale décline au profit de pôles alternatifs.
SUIVEZ-NOUS SUR ▼▼
Découvrez d’autres analyses sur notre page d’accueil.