Le phénomène de la montée du populisme ces dix dernières années illustre une transformation profonde des dynamiques politiques et sociales à travers le monde. Les grands blocs idéologiques comme le socialisme ou le libéralisme, qui ont structuré les choix politiques au cours du XXe siècle, ont perdu leur influence, remplacés par des mouvements populistes qui transcendent souvent les clivages gauche-droite traditionnels. Ce phénomène trouve sa source dans plusieurs évolutions sociétales, technologiques et géopolitiques. Lire plus
Avec la multiplication des réseaux sociaux et des plateformes numériques, l’information est devenue très fragmentée, et les individus ont accès à des perspectives multiples, souvent biaisées. Le résultat en a été une dispersion des idées. Chaque individu peut construire son propre fil d'information, privilégiant des sources qui confortent ses propres croyances, ce que certains ont qualifié de phénomène des ‘’chambres d’écho’’.
Les campagnes de désinformation et les "fake news" se sont multipliées, tant pour des intérêts nationaux que pour influencer les opinions à l'international, comme on a pu le voir dans le cas de l’élection de Donald Trump en 2016 ou du Brexit. La viralité de l'information rend aussi les fausses nouvelles bien plus influentes qu’auparavant, souvent perçues comme crédibles malgré leur manque de fondement.
Le déclin des idéologies traditionnelles s'explique en partie par un renforcement de l'individualisme et une méfiance croissante envers les institutions et les doctrines collectives. De nombreux électeurs se sentent déçus par les solutions de gauche et de droite et choisissent des voies perçues comme alternatives et "authentiques", indépendamment de leur cohérence idéologique.
La crise financière de 2008 a contribué à une perte de confiance envers les institutions financières et les doctrines économiques, notamment le libéralisme économique. Des politiques de rigueur budgétaire appliquées en Europe ont aggravé les inégalités, laissant place à des discours populistes qui capturent la colère populaire en prônant des solutions simples à des problèmes complexes.
Le Brexit (2016) constitue un tournant marquant où les arguments populistes ont été utilisés pour convaincre les électeurs britanniques de quitter l’Union Européenne, avec une forte mobilisation émotionnelle et des promesses de reprise de contrôle national. Cette rupture avec le projet européen montre comment une manipulation des peurs et du sentiment d’identité peut transformer l’ordre politique.
Les élections de Trump (2016) et de Bolsonaro (2018) ont mis en lumière la force du discours populiste anti-système et anti-élitiste. Trump, notamment, a mobilisé ses électeurs autour de la promesse de redonner une voix aux "oubliés de l’Amérique", indépendamment des lignes idéologiques classiques.
En Europe de l'Est, des pays comme la Hongrie et la Pologne montrent des exemples de populisme qui mettent en avant le nationalisme et la protection des "valeurs traditionnelles" contre une vision perçue comme "mondialisée" et éloignée des préoccupations locales.
Ce nouveau paradigme populiste crée des fractures profondes au sein des sociétés, polarisant les opinions et rendant difficile tout consensus. La confiance dans le débat démocratique et dans les institutions est en baisse, augmentant le risque d'instabilité.
Sur la scène mondiale, le populisme a souvent pour corollaire une approche plus nationaliste et protectionniste. Les engagements multilatéraux, qu'ils soient climatiques, économiques ou de paix, sont remis en cause. Par exemple, l’Accord de Paris a subi de multiples pressions, et la tension entre les blocs géopolitiques devient de plus en plus palpable, comme en témoigne la guerre en Ukraine.
Dans certains cas, le populisme a également conduit à une érosion des valeurs démocratiques, avec des dirigeants qui cherchent à concentrer le pouvoir en s'appuyant sur des discours anti-élitistes. Cette tendance pourrait renforcer les régimes autoritaires, où la séparation des pouvoirs et les droits individuels sont de plus en plus menacés.
L’avenir des sociétés pourrait être marqué par une “démocratie des émotions” (Exemples des Gilets Jaunes en France, Forums des Peuples Indigènes des Amériques etc..), où les décisions se fondent moins sur des analyses rationnelles et plus sur des émotions collectives. Le défi réside dans la capacité des institutions à retrouver leur crédibilité et à renouer un dialogue apaisé avec la population.
Ce climat pourrait, paradoxalement, ouvrir la voie à une réémergence des grandes idéologies, mais sous des formes renouvelées, plus inclusives et adaptées aux préoccupations modernes, telles que la justice climatique, les droits humains, et la réforme économique.
L'importance des médias et des réseaux sociaux dans cette évolution pourrait amener à de nouvelles réglementations internationales sur la désinformation. Plusieurs pays envisagent déjà des lois visant à responsabiliser les plateformes pour le contenu qu’elles hébergent.
En définitive, ce nouvel état des choses où le populisme prend le dessus semble révéler des sociétés en crise de repères et en quête de nouvelles visions collectives. Les réponses seront probablement déterminées par la capacité des démocraties à se réinventer, à renforcer la transparence et à répondre aux attentes légitimes de leurs citoyens dans un cadre à la fois national et global.
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