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08 décembre 2024

BILLET : Make America Great Again- Par Abdelhak Laalioui

Publié le 8 décembre 2024

 

 

Le slogan "Make America Great Again" (MAGA), popularisé par Donald Trump, a non seulement incarné une stratégie politique efficace, mais aussi un miroir tendu aux angoisses et aspirations d'une partie significative de la population américaine. Réélu en 2024 dans un contexte politique tendu, Trump a démontré que la capacité à captiver les imaginaires collectifs et les émotions profondes des électeurs pouvait parfois surpasser les programmes électoraux traditionnels dans leur pouvoir de persuasion. Lire plus

Derrière la simplicité apparente de MAGA se cache une construction subtile qui a su résonner avec des couches profondes de l’inconscient collectif américain. Ce slogan évoque une époque dorée — bien que vague et subjective — où les valeurs traditionnelles, la puissance économique et la fierté nationale semblaient incontestées. Dans un monde globalisé où les États-Unis ne sont plus la seule superpuissance incontestée, cette nostalgie est devenue un refuge face à la complexité.

Le succès de Trump réside en partie dans sa capacité à capter et amplifier cette irrationalité. Plutôt que de s’adresser à l’intellect, il a parlé aux instincts : la peur du déclin économique, de l’immigration incontrôlée, de la perte d’identité nationale. Par cette démarche, il a mobilisé des électeurs pour qui la politique traditionnelle semblait déconnectée des réalités quotidiennes.

Cette approche s’inscrit dans une logique psychanalytique, où le politique devient une figure paternelle capable de donner sens à des angoisses diffuses. Trump, avec son langage direct, sa posture de "self-made man" et son mépris pour les élites, a incarné une autorité protectrice, une réponse symbolique aux peurs d'abandon ou de déclassement.

Si Trump, comme d’autres présidents, incarne la figure visible du pouvoir, le fonctionnement des États-Unis repose sur une architecture institutionnelle complexe. Derrière la scène politique se trouve une "administration intermédiaire", souvent qualifiée d’"État profond" (deep state) par ses détracteurs. Ce réseau, composé de fonctionnaires, de bureaucrates, et d’experts en poste au sein des agences fédérales, veille à la continuité du gouvernement, indépendamment des changements de majorité ou des orientations idéologiques des dirigeants élus.

Cette structure agit comme une stabilisatrice du système. Par exemple, la politique étrangère américaine, souvent perçue comme cohérente et durable, est façonnée par le Département d'État, le Pentagone et des agences comme la CIA, qui maintiennent des stratégies à long terme, quelles que soient les priorités du président en exercice. Cela garantit une résilience systémique, mais pose également des questions sur le véritable contrôle démocratique.

Ainsi, le président n'est pas un monarque absolu, mais un acteur parmi d'autres dans une machinerie plus vaste. Trump, malgré ses promesses d’ " assécher le marécage" (drain the swamp), a lui-même dû composer avec cet État intermédiaire. Toutefois, sa capacité à défier cette structure, au moins dans l'imaginaire collectif, a renforcé son attrait auprès des électeurs sceptiques vis-à-vis des institutions.

L’ère Trump met en lumière une transformation fondamentale de la politique moderne : la capacité de capter l’attention et de manipuler les émotions prime désormais sur la technicité des programmes. Alors que des candidats traditionnels peinent à mobiliser en raison de discours technocratiques et de promesses détaillées mais abstraites, Trump a misé sur une communication directe et des messages simples, mais puissants.

Les neurosciences et la psychologie sociale montrent que les électeurs ne votent pas toujours en fonction de leur intérêt rationnel, mais sont souvent influencés par des récits qui leur permettent de donner un sens à leurs expériences. Le slogan MAGA en est un exemple éclatant. Il n’explique rien, ne propose rien de concret, mais il offre un cadre émotionnel où les électeurs peuvent projeter leurs espoirs et leurs frustrations.

La montée de leaders populistes, que ce soit en Amérique ou ailleurs, reflète une fatigue vis-à-vis de l’"ancienne politique", perçue comme déconnectée. Ces leaders captent des émotions diffuses — colère, frustration, peur — et les transforment en énergies mobilisatrices. Cela ne signifie pas que les programmes électoraux sont obsolètes, mais plutôt qu’ils doivent désormais s’inscrire dans un récit qui parle aux émotions.

Le traitement émotionnel de l’opinion peut être un outil puissant pour engager des citoyens souvent désenchantés par la politique. Toutefois, il comporte des risques : en court-circuitant la rationalité, il peut favoriser des décisions impulsives et des politiques simplistes. La surreprésentation de l’émotion peut aussi polariser les sociétés, en opposant des camps idéologiques irréconciliables.

En conclusion, Trump a su capter l’essence d’un moment historique où les incertitudes économiques, sociales et culturelles étaient particulièrement exacerbées. Il a démontré que, dans une époque marquée par une saturation informationnelle et une fragmentation sociale, l’émotion l’emporte souvent sur la raison. Cette évolution interroge non seulement le système politique américain, mais aussi l’avenir de la démocratie dans un monde où l’irrationalité pourrait devenir le principal moteur de l’action collective.

 

 

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