L’eau, ressource vitale et stratégique, est au cœur de rivalités géopolitiques
croissantes. Les grands fleuves transfrontaliers, tels que le Nil, le Mékong et
l’Indus, illustrent ces tensions où enjeux économiques, environnementaux et
sécuritaires s’entremêlent. La gestion de ces bassins hydriques révèle des
rapports de force entre États en amont et en aval, marqués par des conflits
d’usage, des projets d’infrastructures controversés et des défis climatiques. (Plus)
Le Nil : un litige historique entre l’Égypte et l’Éthiopie
Le Nil, artère vitale pour onze pays africains, cristallise les tensions entre
l’Égypte, historiquement hégémonique, et l’Éthiopie, puissance montante. Le
Grand Barrage de la Renaissance Éthiopienne (GERD), construit sur le Nil Bleu,
menace les approvisionnements égyptiens, qui dépendent à 90 % du fleuve. Malgré
des décennies de négociations, aucun accord ne fixe les règles de remplissage
du réservoir ou de partage des eaux. Le Caire invoque des traités coloniaux
(1929, 1959) aujourd’hui contestés par Addis-Abeba, qui revendique son droit au
développement. Le Soudan, à la fois inquiet et séduit par les retombées
énergétiques du GERD, incarne un acteur ambigu dans ce bras de fer.
Le Mékong : la domination chinoise et ses conséquences régionales
En Asie du Sud-Est, le Mékong symbolise l’asymétrie entre la Chine, en amont,
et les pays en aval (Laos, Cambodge, Thaïlande, Vietnam). Pékin a construit une
vingtaine de barrages hydroélectriques, réduisant le débit et bloquant les
sédiments essentiels à l’agriculture et à la biodiversité. Les sécheresses
récentes, aggravées par le changement climatique, ont accru les tensions,
notamment au Vietnam, où le delta – grenier à riz – subit une salinisation
destructrice. La Commission du Mékong, excluant la Chine, peine à instaurer une
gouvernance équitable, reflétant l’influence géopolitique croissante de Pékin
via des investissements infrastructurels.
L’Indus : un traité sous pression entre l’Inde et le Pakistan
L’Indus, partagé entre l’Inde et le Pakistan, est régi par un traité de 1960, souvent salué pour sa résilience malgré les guerres. Cependant, les projets hydroélectriques indiens au Cachemire, comme le barrage de Kishanganga, alimentent les suspicions pakistanaises quant à une volonté de contrôler les ressources. La fonte des glaciers himalayens, source du fleuve, et la pression démographique exacerbent les risques de pénurie. Le conflit territorial sur le Cachemire, couplé à l’absence de mécanismes de révision du traité, rend la coopération fragile dans un contexte de nationalisme exacerbé.
Enjeux communs : climat, démographie et souveraineté
Ces trois bassins partagent des défis structurels : réchauffement climatique, croissance démographique et compétition pour les ressources. Le Nil et l’Indus dépendent de glaciers et pluies de mousson de plus en plus erratiques, tandis que le Mékong voit ses cycles naturels perturbés par les barrages. La pression agricole et urbaine accroît la demande en eau, transformant les fleuves en enjeux de sécurité nationale. Les États en amont, comme la Chine ou l’Éthiopie, instrumentalisent leur position géographique pour affirmer leur puissance, défiant les normes de souveraineté partagée.
Vers une coopération renouvelée ?
Malgré les tensions, des exemples de dialogue subsistent. Le GERD a poussé
l’Union africaine à jouer un rôle médiateur, tandis que le Mékong voit émerger
des initiatives locales pour une gestion durable des pêches. Le traité de
l’Indus, bien que menacé, reste un modèle de gestion binationale. Pour éviter
l’escalade, une approche intégrant données scientifiques, équité interétatique
et adaptation climatique est cruciale. L’implication d’acteurs internationaux
(ONU, Banque mondiale) pourrait favoriser des accords inclusifs.
En définitive, la géopolitique de l’eau révèle une réalité implacable : sans coopération, les
conflits hydriques risquent de s’aggraver. Les cas du Nil, du Mékong et de
l’Indus montrent que la gestion des fleuves doit concilier développement
économique, justice environnementale et stabilité régionale. Face à l’urgence
climatique, repenser la gouvernance de l’eau comme bien commun global devient
un impératif pour la paix.