Mais cette vision du monde, dictée par la culture du deal propre au capitalisme américain, se heurte à une approche fondamentalement différente : celle du temps russe.
L'idéologie russe : Une stratégie du temps long
La Russie ne conçoit pas les relations internationales sous un prisme purement contractuel. Son approche est inscrite dans une temporalité historique, marquée par une continuité impériale où les rapports de force ne sont pas négociés, mais imposés ou modelés sur la durée. La Russie de Poutine, imprégnée d'une vision messianique de son destin, conçoit la politique étrangère comme une lutte de survie et d'expansion où la méfiance envers l'Occident est structurelle.
Historiquement, Moscou n'a jamais fonctionné par la simple application d'accords mutuels. L'OTAN, perçue comme une menace existentielle, est un exemple de la profonde divergence de perception entre les deux puissances. Pour la Russie, chaque concession apparente cache une ruse potentielle, et chaque deal n'est qu'une étape dans une confrontation inéluctable. Ainsi, tout accord signé avec Washington n'est qu'une suspension temporaire des hostilités, jamais une solution finale.
L'a-proximatisme américain : Une illusion pragmatique ?
L'erreur fondamentale de la doctrine transactionnelle américaine réside dans son approche court-termiste. Elle présuppose que la Russie fonctionne selon des règles similaires à celles du capitalisme occidental, où chaque acteur rationnel cherche avant tout un équilibre bénéfique. Or, le pouvoir russe, lui, intègre le sacrifice et la confrontation comme des instruments naturels de sa politique.
L'exemple ukrainien illustre cette incompréhension mutuelle. Pour Washington, une pression économique et militaire accrue devrait suffire à contraindre Moscou à la négociation. Or, la Russie, à l'inverse, perçoit ces sanctions comme une confirmation de sa posture assiégée, l'incitant à une résistance prolongée. De plus, les américains sous-estiment le rôle de la patience russe : si la Russie peut endurer des décennies de sanctions et de difficultés, Washington, soumis aux cycles électoraux, ne peut s'engager dans une guerre d'usure indéfinie.
Les écueils à venir et les scénarios de confrontation
1. L'échec du pragmatisme américain : La Russie ne signera jamais un accord qui ne soit pas à son avantage stratégique profond. Tout deal supposé avec Moscou risquera d'être un simple répit avant une nouvelle escalade.
2. Une guerre froide 2.0 : Sans conflit direct, les tensions russo-américaines pourraient se cristalliser sous forme de confrontation indirecte, avec une multiplication des conflits par procuration et des cyberattaques massives.
3. Un basculement vers l'Est : Si la Russie s'enracine davantage dans une alliance sino-russe, Washington devra affronter une dynamique multipolaire complexe, mettant en jeu non seulement la Russie mais aussi la Chine comme acteur stratégique central.
4. L'option militaire : En cas de désaccords insurmontables, la confrontation pourrait prendre une tournure plus directe en Ukraine ou dans les pays baltes, testant ainsi la volonté américaine de s'engager militairement contre un adversaire stratégiquement prêt à un conflit prolongé.
En somme, le "temps américain" rapide et pragmatique s'oppose au "temps russe", lent et profond. Toute négociation entre ces deux visions du monde risque de buter sur un malentendu fondamental : Washington cherche un accord, Moscou une victoire. Et c'est précisément dans cette dichotomie que se joue l'avenir des relations américano-russes.
